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UN AMOUR

Il n’avait pas fait dix pas qu’il étouffa un cri. Ses jambes vacillaient. La feuille tremblait en sa main. Il dut s’appuyer contre une porte. Et ses yeux hagards cherchaient encore sur le journal les quelques lignes effroyables qui avaient attiré son attention. Il les relut une seconde fois avec une épouvante indicible.

« Dernière heure. Hier dimanche, à la tombée de la nuit, entre Rambouillet et Chevreuse, l’automobile du comte Georges de Brocourt a dérapé dans un tournant et s’est renversée. Le comte de Brocourt a été tué sur le coup. Deux personnes qui l’accompagnaient, Mme Jacques Dufriche et sa fille, âgée de dix ans, sont mortes quelques minutes après. »

Il y avait en face de Jacques une taverne. Il y entra, avala deux gobelets de whisky et mit la main à la poche spéciale de son pantalon où se trouvait d’habitude son revolver. Ne l’y découvrant pas, il se rappela l’avoir laissé dans sa cabine. Alors il sortit de la taverne et marcha en toute hâte vers le port de commerce, Car il n’avait point d’autre idée que de mourir, et de mourir le plus vite possible, sans penser à rien.

Mais les mots atroces de l’article le brûlaient comme du fer rouge. Il évoquait les deux cadavres, sa femme, sa fille, et il songeait aussi à l’odieuse trahison, au mensonge de la lettre reçue, au mensonge de toutes ces protestations affectueuses et de cet amour hypocrite et faux.

En arrivant au port, il courait presque. La plupart des voyageurs étaient déjà embarqués. Il eut l’impres-