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LA BELLE MADAME DE GIMEUSE

« Oui, le seul événement, c’est en moi, dans ma raison, qu’il se produisit, à coups de menus faits. Au fond, voyez-vous, ce fut de la lassitude, une lassitude infinie, une sorte d’accablement. Du jour au lendemain, presque, j’en eus assez d’être la belle Mme de Gimeuse et surtout de n’être que cela. Pour rester la belle Mme de Gimeuse, que les poètes chantaient et que le monde avait adoptée comme un dogme, j’avais sacrifié, je m’en rendais compte soudain, tous mes goûts, toutes mes préférences, tous mes rêves, ma vie elle-même que j’aurais pu refaire cependant, après la mort de mon mari. J’étais belle, cela suffisait. La beauté, en ces temps lointains — et si proches ! — me semblait une fonction qu’il faut remplir, une vocation à laquelle on doit se plier. Avais-je de l’esprit, des qualités de cœur et d’intelligence ? Je ne sais pas. J’étais la belle Mme de Gimeuse, et je le prouvais en assistant à toutes les fêtes et à toutes les premières, et je le prouvais en restant belle quoi qu’il advînt, quelle que fût mon humeur du jour. Comprenez-vous ce supplice ?

— Un supplice, êtes-vous sûre ? > » demanda-t-il.

Elle affirma :

« Un supplice, du moins, à partir des années où le mensonge commence. On triomphe d’abord parce qu’on est la plus forte et qu’on fait illusion. Et puis, le doute vient… et puis le désespoir… Et alors, c’est la lutte sournoise, quotidienne, implacable, la lutte contre l’embonpoint, contre les rides… et l’on se débat, et l’on cherche, et l’on court les masseuses, les instituts de beauté… et l’on emploie les recettes des journaux,