Page:Leblanc - La Robe d’écailles roses, 1935.djvu/174

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
170
LE ROMAN D’UNE JEUNE FILLE

« Voici le salon » se dit Gilberte avant d’en ouvrir la porte et elle s’amusa également à désigner, certaine de ne point se tromper, la salle et la cuisine.

Mais ce fut de l’étonnement quand, au premier étage, elle pénétra dans une grande pièce à papier gris, semé de fleurs bleues, entre lesquelles voltigeaient des papillons et des oiseaux. Ces fleurs, ces papillons, ces oiseaux, où donc les avait-elle vus ?

Elle tressaillit : dans un coin, sur le plancher poussiéreux, li y avait une poupée, dernière épave des objets qui avaient jadis empli la maison. Et Gilberte la connaissait, il était hors de doute qu’elle la connaissait.

Elle la ramassa et, rien que d’y toucher, une émotion extraordinaire l’étreignit, comme si c’eût été une poupée de son enfance, une poupée avec qui elle eût joué à trois ou quatre ans, une de ces poupées dont les petites filles sont les mères, et auprès de qui elles font l’apprentissage du dévouement, des soins minutieux, de l’inquiétude, de la tendresse et de l’orgueil maternels. Et elle la voyait celle-là, la pauvre loque lamentable et dénudée, au crâne absent, elle la voyait, ou plutôt la revoyait, vêtue d’une robe de soie orange et d’un châle vert, parée de souliers mordorés, et d’une chaîne d’argent autour du cou, et de la plus merveilleuse tignasse blonde.

Longtemps elle la mania, et ses mains lui paraissaient habituées à ces formes grossières et à l’articulation maladroite des bras et des jambes. Rien ne la choquait. Elle avait envie de baiser le petit front de porcelaine et les joues rebondies.