Page:Leblanc - La Robe d’écailles roses, 1935.djvu/16

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
12
LA ROBE D’ÉCAILLES ROSES

tard, elle descendit pensivement l’escalier qu’elle avait monté avec tant d’allégresse, et, en auto, elle se blottit dans son coin et demeura silencieuse, le visage enfoui dans ses fourrures.

La princesse Dougloff portait la robe d’écailles roses qu’elle avait vendue. Cela lui infligeait l’humiliation la plus cruelle, vis-à-vis d’elle-même et vis-à-vis de son mari. Cette robe qu’elle avait jetée au rebut, une autre femme — et quelle femme ! — s’en parait comme de la robe la plus précieuse et la plus magnifique, et remportait ses triomphes avec la défroque achetée quelques louis à une marchande à la toilette !

Blessure profonde, dont Suzanne ressentait toute l’acuité, et d’autant plus vivement que son mari avait dû reconnaître, lui aussi, la robe d’écailles roses, et qu’il devait se livrer à des réflexions offensantes, et juger sa femme, et se moquer d’elle…

« Vous n’avez pas besoin de moi ? »

Ils étaient rentrés chez eux, et suivant l’habitude | qu’il avait prise au retour des soirées, il l’avait suivie dans sa chambre et s’offrait à la dégrafer.

Sans répondre elle se jeta sur un fauteuil et ne bougea plus, et il vit qu’elle avait sa figure des heures mauvaises, des heures où, toute crispée, les nerfs tendus, elle cherchait à le faire souffrir.

« Vous n’avez pas besoin de moi ? » répéta-t-il.

Il attendait, sachant par expérience qu’il valait mieux en finir sur-le-champ et affronter sans retard le choc des explications. Et l’attente lui était très douloureuse, car il savait que Suzanne, en ces minutes d’exaspération, souffrait autant que lui, peut-être.