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LE ROMAN D’UNE JEUNE FILLE

peu triste, vous aviez promis de faire bonne figure à vos ennemis du salon, et voilà toute l’amabilité que l’on peut obtenir de vous ! ne suis-je pas en droit de me plaindre ? ne nous sommes-nous pas serré la main comme deux amis ? »

Les bras se décroisèrent, les traits du visage s’amollirent. Cette fois encore, elle sentit la détente d’une volonté raidie, l’abolition pour ainsi dire immédiate de tout ce qui résistait en ce taciturne dont le menton carré et les yeux résolus indiquaient l’entêtement.

« Bien, dit-elle… parfait… encore un peu de rudesse dans le regard… à merveille… et maintenant, venez. »

Il l’arrêta :

« Ne soyez pas trop exigeante. Vous êtes tellement au-dessus de la vie ordinaire, tellement inaccessible, que vous pouvez vous mêler à ces gens sans que rien vous atteigne et vous diminue. Moi, je ne le pourrais pas sous peine de déchoir. Il faut faire la part des caractères. Je serai poli, voilà tout. »

Alors elle resta et ils causèrent.

Souvent encore Gilberte dut aller vers lui et ouvrir, comme elle disait, la porte de sa prison, délier ses mains et délivrer son âme captive. Mais elle y parvenait si aisément qu’ils s’en amusaient tous deux.

« Un signe de votre petit doigt, disait Guillaume, et les murs de la prison s’écroulent. »

Sous cette enveloppe inégale et rugueuse, Gilberte découvrit la nature la plus exquise et la plus délicate, nature de poète froissée par tout ce qui l’environnait, nature d’enfant que sa mère avait comprimée jusqu’à la douleur.