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Montparnasse qui avait remplacé pour eux le bar des Écrevisses.

Sosthène les rejoignit.

— Ça y est, dit-il. C’est dans un pavillon, à Auteuil, avenue du Maroc, 27. Courville a sonné à la grille du jardin. La grille s’est ouverte toute seule. Sur le coup de huit heures moins le quart, j’ai vu rentrer la petite à son tour. Même cérémonie : elle a sonné, la grille s’est ouverte.

— Et lui, tu l’as vu ?

— Non. Mais pas de doute à ce propos.

Le grand Paul réfléchit et conclut :

— Tout de même… avant d’agir… je veux me rendre compte… Amène-moi l’auto demain matin, à dix heures. Et je te jure Dieu que, si ça y est, Clara n’y coupe pas. Ah ! la garce ! Elle s’est fichue de moi !

Le lendemain matin, un taxi s’arrêtait à la porte de l’hôtel meublé où couchait à ce moment le grand Paul. Il y monta. Au volant s’étalait ventru, rubicond, chapeau de paille sur la tête, le complice Sosthène.

— En route !

Le chauffeur était habile. Rapidement, ils gagnèrent Auteuil et l’avenue du Maroc, large voie plantée de jeunes arbres et tracée parmi d’anciens jardins et domaines récemment lotis. Le pavillon de Raoul était un vestige d’une de ces propriétés.

L’auto s’arrêta plus loin. Le grand Paul, bien caché dans le taxi, pouvait voir, par la glace arrière, à trente pas, la grille du pavillon et les fenêtres du premier étage, toutes deux ouvertes. Sur le siège, le chauffeur lisait son journal.

De temps en temps, ils échangeaient quelques paroles.

Le grand Paul s’irritait :

— Sacrédié ! le pavillon semble inhabité. Depuis une heure, personne ne bouge.

— Parbleu ! ricanait le gros homme. Des amoureux, c’est pas pressé de se lever…

Vingt minutes encore s’écoulèrent. Puis la demie de onze heures sonna.

— Ah ! la gueuse, mâchonna le grand Paul, le visage à la vitre. Et lui !… Ah ! le misérable !

À l’une des fenêtres apparaissaient Raoul et Clara. Ils s’accoudèrent sur le barreau du petit balcon. On voyait leurs bustes serrés l’un contre l’autre, leurs figures souriantes et heureuses, les cheveux éclatants de Clara la Blonde.

— Foutons le camp ! ordonna le grand Paul, dont la face était contractée de haine… Je les ai assez vus… La gredine !… C’est son arrêt de mort, ça !

L’auto démarra et fila vers le quartier populeux d’Auteuil.

— Halte ! cria le grand Paul. Et suis-moi.

Il sauta sur le trottoir et ils en-