Page:Leblanc - La Femme aux deux sourires, paru dans Le Journal, 1932.djvu/15

Cette page a été validée par deux contributeurs.

— Bonne chance, lui dit-il, en se penchant sur la rampe de l’escalier. Et, tandis que vous y êtes, arrêtez aussi le sieur Lupin. Tout ça, c’est fripouille et compagnie.

Quand il rentra dans le salon, la jeune fille s’y tenait debout, un peu pâle, avec une certaine anxiété.

— Qu’avez-vous donc, mademoiselle ?

— Rien… rien… Seulement, voilà des hommes qui m’attendaient à la gare !… j’étais signalée !…

— Alors, vous êtes bien Clara la Blonde, la maîtresse du fameux grand Paul ?

Elle haussa les épaules.

— Je ne sais même pas qui est le grand Paul.

— Vous ne lisez donc pas les journaux ?

— Rarement.

— Et votre nom de Clara la Blonde ?

— Je l’ignore. Je m’appelle Antonine.

— En ce cas, que craignez-vous ?

— Rien. Tout de même, on voulait m’arrêter… on voulait…

Elle s’interrompit, et sourit, comme si elle eût compris soudain la puérilité de son émoi, et elle dit :

— J’arrive bien de ma province, n’est-ce pas, et je perds la tête à la première complication possible. Adieu, monsieur.

— Êtes-vous donc si pressée ? Un moment, j’ai tant de choses à vous dire ! que vous avez un sourire de joie… un sourire affolant… avec des coins de lèvres qui remontent.

— Je n’ai rien à entendre, monsieur. Adieu !

— Comment ! Je viens de vous sauver, et…

— Vous m’avez sauvée ?

— Dame ! prison… cour d’assises… échafaud. Ça mérite quelque chose. Combien de temps restez-vous chez le marquis d’Erlemont ?

— Une demi-heure, peut-être…

— Eh bien, je vous surveille au passage, et nous prenons le thé ici, en bons camarades.

— Le thé ici ! oh ! monsieur, vous profitez d’une erreur… Je vous en prie.

Elle levait sur lui des yeux si francs qu’il sentit l’inconvenance de son offre, et n’insista pas.

— Que vous le vouliez ou non, mademoiselle, le hasard nous remettra en présence l’un de l’autre… et j’aiderai au hasard. Il y a de ces rencontres qui ont inévitablement un lendemain… beaucoup de lendemains…

S’arrêtant sur le palier, il la regarda remonter l’étage. Elle se retourna pour lui envoyer de la main un salut gentil, et il se disait :

— Oui, elle est adorable… Ah ! ce sourire frais ! Mais que va-t-elle faire chez le marquis ?… Et puis, que fait-elle dans la vie ? Quel est le mystère de son existence ? Elle,