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qui m’a ému dès le début. C’est cela que j’ai toujours recherché depuis, quand je croyais qu’il n’y avait qu’une femme, qui s’appelait Antonine ou Clara. Maintenant que je sais qu’il y en a deux, j’emporte la jolie image… qui est l’image de mon amour… qui est mon amour lui-même… et que vous ne pouvez me retirer.

— Mon Dieu ! dit-elle toute rougissante, est-ce que vous avez le droit de me parler ainsi ?

— Oui, puisque nous ne devons plus nous revoir. Le hasard d’une ressemblance fait que nous sommes attachés l’un à l’autre par des liens réels. Depuis que j’aime Clara, c’est vous que j’aime, et il est impossible qu’un peu de son amour, à elle, ne soit pas mêlé d’un peu de votre sympathie… de votre affection…

Elle chuchota, avec un trouble qu’elle n’essayait point de dissimuler :

— Allez-vous-en, je vous en supplie.

Il fit un pas vers le parapet. Elle s’effraya.

— Mais non ! Mais non ! Pas de ce côté !

— Il n’y a pas d’autre issue.

— Mais c’est épouvantable ! Comment ! Mais je ne veux pas !… Non ! non !… Je vous en prie.

Cette menace du terrible danger la transformait. Durant quelques instants elle ne fut plus la même, et son visage exprimait toutes les peurs, toutes les angoisses, et toutes les supplications d’une femme dont les sentiments, ignorés d’elle, sont bouleversés.

Cependant des voix montaient du château, du jardin creux peut-être. Est-ce que Gorgeret et ses hommes n’avançaient pas vers les ruines ?

— Restez… Restez…, dit-elle, je vous sauverai… Ah ! quelle horreur !

Raoul avait passé l’une de ses jambes par-dessus le petit mur.

— Soyez sans crainte, Antonine… J’ai étudié la paroi de la falaise, et je ne suis peut-être pas le premier qui s’y aventure. Je vous jure que ce n’est qu’un jeu pour moi.

Une fois encore, elle subit son influence au point qu’elle parvint à se dominer.

— Souriez-moi, Antonine.

Elle sourit, d’un effort douloureux.

— Ah ! dit Raoul, comment voulez-vous qu’il m’arrive quelque chose avec ce sourire dans les yeux ? Faites mieux, Antonine. Pour me sauvegarder, donnez-moi votre main.

Elle était devant lui. Elle tendit sa main, mais avant qu’il ne l’eût baisée, elle la retira, se pencha, demeura ainsi quelques secondes indécise, les paupières à demi closes, et, à la fin, s’inclinant davantage, lui offrit ses lèvres.

Le geste fut d’une naïveté charmante, et d’une telle chasteté, que Raoul vit bien qu’elle n’y attachait que l’importance d’une caresse fraternelle, où il y avait un entraînement dont elle ne comprenait pas la cause profonde. Il effleura les douces lèvres qui souriaient et respira la pure haleine de la jeune fille.

Elle se releva, étonnée de l’émotion ressentie, chancela sur elle-même, et balbutia :

— Allez-vous-en… Je n’ai plus