Page:Leblanc - La Femme aux deux sourires, paru dans Le Journal, 1932.djvu/130

Cette page a été validée par deux contributeurs.

Le marquis se récria :

— Enfin, quoi ! j’ai vu la plaie… Personne n’a jamais douté qu’un crime ait été commis. Qui l’a commis ?

Raoul leva le bras, tendit l’index et prononça :

— Persée.

— Que signifie ?

— Vous me demandez qui a commis le crime. Je vous réponds très sérieusement : Persée !

Il acheva :

— Et maintenant, ayez l’obligeance de m’accompagner jusqu’aux ruines.


XXII

Le crime de Persée

Jean d’Erlemont ne se conforma pas sur-le-champ à la demande de Raoul. Il demeurait indécis et, visiblement, très ému.

— Ainsi, dit-il, nous serions près d’atteindre le but ?… J’ai tant cherché et tant souffert de ne pouvoir venger Élisabeth !… Est-ce possible que nous sachions la vérité sur sa mort ?

— Je la connais, cette vérité, affirma Raoul. Et, pour le reste, pour les bijoux disparus, je crois pouvoir certifier…

Antonine était sûre, elle. Son clair visage indiquait une confiance que n’altérait aucune restriction. Elle serra la main de Jean d’Erlemont pour lui communiquer sa conviction joyeuse.

Quant à Gorgeret, tous les muscles de sa figure étaient contractés. Sa mâchoire se crispait. Lui non plus il ne pouvait admettre que des problèmes auxquels il avait consacré tant de vains efforts fussent résolus par son adversaire détesté. Il espérait et redoutait à la fois une réussite humiliante pour lui.

Jean d’Erlemont refit le chemin qu’il avait fait quinze ans plus tôt en compagnie de la chanteuse. Antonine le suivait et précédait Raoul et Gorgeret.

Le plus tranquille de tous était certes Raoul. Il se réjouissait de voir marcher devant lui la jeune fille et notait certains détails qui la distinguaient de Clara : une allure moins onduleuse et moins souple, mais mieux rythmée et plus simple, moins de volupté mais plus de fierté, moins de grâce féline mais plus de naturel.

Et ce qu’il notait dans la marche, il se rendait compte qu’on le retrouvait dans l’attitude et dans le visage même d’Antonine, quand on la contemplait de face. Deux fois, ayant dû ralentir à cause des herbes qui s’enchevêtraient par-dessus le sentier, elle chemina côte à côte avec lui. Il s’aperçut qu’elle rougissait. Ils n’échangèrent pas un seul mot.

Le marquis remonta les degrés de pierre qui sortaient du jardin creux, puis les degrés qui aboutissaient à la seconde terrasse, laquelle se prolongeait à droite et à gauche par des lignes d’aucubas qu’ornaient de vieux vases sur leurs socles moussus et fendillés. Il prit à gauche pour atteindre les pentes et les marches qui grimpaient à travers les ruines.

Raoul l’arrêta.

— C’est bien ici que vous vous êtes attardés, Élisabeth Hornain et vous ?

— Oui.

— À quel endroit exact ?

— Là où je suis.

— On pouvait vous voir du château ?

— Non. Les arbustes, qui n’ont pas été taillés ni soignés, sont dégarnis. Mais, autrefois, ils formaient de haut en bas un rideau épais.

— Alors, c’est à cet endroit que se tenait Élisabeth Hornain lorsque vous vous êtes retourné au bout de la haie ?

— Oui.

— Vous pouvez l’affirmer ?

— Absolument. Ma mémoire a gardé la vision fidèle de sa silhouette. Elle m’a envoyé un baiser. Je revois son geste passionné, son attitude, ce vieux socle qui est là, le cadre de verdure qui l’entourait. Je n’ai rien oublié.

— Et quand vous êtes redescendu dans le jardin, vous vous êtes retourné une seconde fois ?

— Oui, pour la revoir dès qu’elle sortirait de l’avenue.

— Et vous l’avez aperçue ?

— Pas tout de suite, mais presque aussitôt.