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respondaient à un minimum de prudence et de sagesse. Or, il imaginait que le retour à la vie du grand Paul pouvait ajouter aux périls actuels, et que le témoignage du marquis et les déclarations d’Antonine devaient compliquer la situation.

Tout était prêt pour le départ. Il avait renvoyé les domestiques, aimant mieux être seul en cas de danger. Les valises étaient chargées sur l’auto.

À quatre heures dix, il se rappela tout à coup :

— Fichtre ! je ne puis pourtant pas m’en aller sans dire adieu à Olga. Qu’est-ce qu’elle doit déjà penser ? A-t-elle lu les journaux ? A-t-elle fait un rapprochement entre moi et le sieur Raoul ? Liquidons cette vieille histoire…

Il demanda :

— Le Trocadéro-Palace, s’il vous plaît ?… Allo… Ayez l’obligeance de me donner l’appartement de Sa Majesté.

Raoul, très pressé, eut le grand tort de ne pas s’informer de qui répondait. Ne reconnaissant ni la voix de la secrétaire, ni la voix de la masseuse, croyant que le roi de Borostyrie n’était plus à Paris, il fut persuadé qu’il avait affaire à la reine, et, de son ton le plus aimable, le plus affectueux, il débita d’un trait :

— C’est toi, Olga ? Comment vas-tu, ma belle aimée ? Hein, tu dois m’en vouloir, et me traiter de mufle ? Mais non, Olga, des occupations, des soucis par-dessus la tête… Je t’entends mal, chérie… ne prends pas cette grosse voix d’homme… Voici… Je dois, hélas ! m’en aller à brûle-pourpoint… Un voyage d’études sur les côtes de la Suède. Quel contretemps ! Mais pourquoi ne réponds-tu pas à ton petit Raoul ? tu es fâchée ?

Le petit Raoul sursauta. À n’en point douter, c’était une voix d’homme qui lui répondait, la voix du roi qu’il avait eu déjà l’occasion d’entendre, et qui, furieux, roulant encore plus les r que son épouse, grondait à l’autre bout du fil :

— Vous n’êtes qu’un grrredin, monsieur, et je vous méprrrise.

Raoul eut une petite sueur dans le dos. Le roi de Borostyrie ! En outre, s’étant retourné, il constata que Clara était réveillée, et qu’elle n’avait rien dû perdre de la communication.

— À qui as-tu téléphoné ? dit-elle anxieusement. Qu’est-ce que c’est que cette Olga ?

Il ne répondit pas aussitôt, interloqué par l’incident. Mais bah ! il n’ignorait point que le mari d’Olga n’en était pas à s’offusquer des frasques de son épouse. Une de plus, une de moins. Il n’y fallait plus penser.

— Qu’est-ce que c’est qu’Olga ? dit-il à Clara. Une cousine, une