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dans la cour d’honneur. C’était plus encore que de l’atmosphère identique accumulée au creux d’une pièce, c’était l’identité absolue des meubles et des bibelots, la même usure des étoffes, la même nuance des tapisseries, les mêmes dessins du parquet, le même lustre, les mêmes girandoles, les mêmes entrées de commode, les mêmes bobèches, la même moitié de cordon de sonnette.

— C’est bien ici, Arlette, qu’on a voulu t’enfermer, hein ? dit Jean. Comment ne te serais-tu pas trompée ?

— C’est ici aussi bien que là-bas, répondit-elle.

— C’est ici, Arlette. Voici la cheminée que tu as escaladée, la bibliothèque où tu t’es couchée. Viens voir la fenêtre par où tu t’es échappée.

À travers cette fenêtre, il lui montra le jardin planté d’arbustes et bordé de hautes murailles qui le dissimulaient aux voisins. À l’extrémité, se dressait le pavillon abandonné, et courait le mur plus bas que perçait la petite porte de service qu’Arlette avait pu ouvrir.

— Béchoux, ordonna d’Enneris, amène-nous Fagerault ici. Il est préférable que ton auto vienne jusqu’au perron et que tes agents attendent ensuite. Nous aurons besoin d’eux.

Béchoux se hâta.

Le bruit de la porte cochère retentit selon le même grondement qu’à la rue d’Urfé. L’auto résonna de la même manière.

En montant, Béchoux dit vivement à l’un de ses hommes :

— Tu installeras tes deux camarades en bas, dans le vestibule, et tu fileras jusqu’à la Préfecture où tu demanderas pour moi trois agents de secours. Service urgent. Tu les amèneras et tu les feras asseoir sur les premières marches de l’escalier du sous-sol dont la porte est là. Nous n’aurons peut-être pas besoin d’eux. Mais la précaution est utile. Et surtout pas un mot d’explication à la Préfecture. Gardons pour nous tout le bénéfice du coup de filet. Compris ?

On déposa Antoine Fagerault sur un fauteuil. D’Enneris referma la porte.

Le délai de vingt minutes qu’il avait demandé ne devait pas être dépassé de beaucoup à ce moment. Et de fait, Antoine commençait à s’agiter. D’Enneris dénoua son masque et le jeta par la fenêtre. Puis, s’adressant à Gilberte :

— Ayez l’obligeance, madame, de mettre à l’écart votre chapeau et votre vêtement. Vous ne devez pas vous considérer comme étant ici, madame, mais comme étant chez vous, dans l’hôtel de la rue d’Urfé. Pour Antoine Fagerault, nous n’avons pas quitté la rue d’Urfé. Et j’insiste de la façon la plus pressante pour que personne ne prononce une parole qui soit en contradiction avec ce que je dirai. Vous êtes tous, et plus que moi, intéressés à ce que le but que nous poursuivons ensemble soit atteint.

Antoine respira plus profondément. Il porta la main à son front comme pour chasser ce sommeil insolite qui l’accablait.

D’Enneris ne le quittait pas des