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cachée, d’un secret… un secret qui se mêle à tous ceux qui rendent cette affaire mystérieuse.

— Je n’ai aucun secret, affirma-t-elle.

— Si, si, et je vous en délivrerai, de même que je vous délivrerai de vos ennemis. Je les connais tous déjà, je les vois agir… je les surveille… l’un d’eux surtout, Arlette, le plus dangereux et le plus fourbe…

Il fut sur le point d’accuser Fagerault, et dans la pénombre il sentit qu’Arlette attendait ses paroles. Mais il ne les prononça point, car les preuves lui manquaient.

— Le dénouement est proche, dit-il. Mais je ne dois pas le brusquer. Suivez votre route, Arlette. Je ne vous demande qu’une promesse, c’est de me revoir autant que cela sera nécessaire, et de vous arranger pour que je sois reçu, comme vous l’êtes, chez M. et Mme de Mélamare.

— Je vous le promets…

Fagerault revenait.

— Un mot encore, dit Jean. Vous êtes bien mon amie ?

— Du plus profond de mon cœur.

— Alors, à bientôt, Arlette.

Une voiture stationnait au bout de l’allée. Fagerault et d’Enneris se serrèrent de nouveau la main, et Arlette partit avec son fiancé.

— Va, mon bonhomme, se dit Jean, pendant qu’ils s’éloignaient, va. J’en ai maté de plus difficiles que toi, et je jure Dieu que tu n’épouseras pas la femme que j’aime, que tu n’habiteras pas l’hôtel Mélamare, et que tu rendras le corselet de diamants.

Dix minutes après, Béchoux surprenait d’Enneris tout pensif, au même endroit. Le brigadier accourait, essoufflé, en compagnie de deux acolytes.

— J’ai un tuyau. De la rue La Fayette, Laurence Martin a dû venir dans ces parages où elle a loué, il y a quelque temps, une sorte de remise.

— Tu es prodigieux, Béchoux, fit d’Enneris.

— Pourquoi ?

— Parce que tu finis toujours par arriver au but. Trop tard, il est vrai… enfin, tu y arrives.

— Que veux-tu dire ?

— Rien. Sinon que tu dois poursuivre ces gens-là sans répit, Béchoux. C’est par eux que nous serons renseignés sur leur chef.

— Ils ont donc un chef ?

— Oui, Béchoux, et qui a pour lui une arme terrible.

— Quoi ?

— Une gueule d’honnête homme.

— Antoine Fagerault ? Alors tu soupçonnes donc toujours ce type-là ?

— Je fais plus que de le soupçonner, Béchoux.

— Eh bien, moi, le brigadier Béchoux, ici présent, je te déclare que tu te mets le doigt dans l’œil. Je ne me trompe jamais sur la physionomie des gens.

— Même sur la mienne, ricana d’Enneris, en le quittant.

L’assassinat du conseiller municipal Lecourceux et les circonstances où il se produisit remuèrent l’opinion publique. Lorsqu’on sut, par les révélations de Béchoux, que l’affaire se rattachait à celle du corselet, que la boutique de la revendeuse à la toilette que l’on recherchait avait comme locataire en nom la demoiselle Laurence Martin, et que cette Laurence Martin était celle-là même à laquelle M. Lecourceux avait donné audience, tout l’intérêt, un moment assoupi, se réveilla.

On ne parla plus que de Laurence Martin et du vieux qui boitait, complice et assassin. Les raisons du crime demeurèrent inexplicables, car il fut impossible de savoir exactement sur la rédaction de quel rapport Laurence Martin avait voulu influer par une offre d’argent. Mais tout cela semblait si bien combiné, et par des gens si exercés dans la pratique du crime, qu’on ne douta point que ce fussent les mêmes qui avaient agencé l’affaire du corselet de diamants, et les mêmes aussi qui avaient machiné le complot mystérieux contre M. de Mélamare et sa sœur. Laurence, le vieillard, la revendeuse, les trois associés redoutables, devinrent célèbres en quelques jours. Leur arrestation d’ailleurs paraissait imminente.

D’Enneris revit Arlette chaque jour à l’hôtel Mélamare. Gilberte n’oubliait pas l’audace avec laquelle Jean l’avait fait évader et le rôle qu’il avait joué. Il reçut donc, sur la recommandation d’Arlette, le meilleur accueil auprès d’elle et auprès du comte.