— Puis-je savoir ?
— Certes. M. et Mme de Mélamare, comme vous le comprenez, ont gardé du drame où ils ont failli sombrer, l’un et l’autre un souvenir d’horreur. La malédiction qui pèse sur leur famille depuis un siècle, et qui semble s’exercer sur elle parce qu’elle habite cet hôtel, les a conduits à une décision irrévocable.
— Laquelle ? ils ne veulent plus y demeurer ?
— Ils ne veulent même plus conserver l’hôtel Mélamare. C’est lui qui attire sur eux le malheur. Ils le vendent.
— Est-ce possible ?
— C’est à peu près fait.
— Ils ont trouvé un acquéreur ?
— Oui.
— Qui donc ?
— Moi.
— Vous ?
— Oui. Arlette et moi, nous avons l’intention d’y habiter.
IX.
Les fiançailles d’Arlette
Il était dit qu’Antoine Fagerault serait pour Jean l’occasion de constantes surprises. Ses relations avec Arlette, leur mariage inattendu, la sympathie que leur témoignaient les Mélamare, l’inconcevable achat de l’hôtel, autant de coups de théâtre, annoncés d’ailleurs comme des événements les plus normaux de la vie quotidienne.
Ainsi, durant les jours où d’Enneris s’était volontairement tenu à l’écart pour juger plus sainement une situation dont il ne devinait point d’ailleurs la gravité, l’adversaire avait profité magnifiquement des délais accordés, et avancé fort loin sa ligne de bataille. Mais était-ce vraiment un adversaire, et leur rivalité amoureuse, à tous deux, impliquait-elle réellement la perspective d’une bataille ? D’Enneris était contraint de s’avouer qu’il ne possédait aucune preuve certaine, et qu’il se guidait d’après sa seule intuition.
— À quand la signature du contrat de vente ? dit-il en plaisantant. À quand le mariage ?
— Dans trois ou quatre semaines.
D’Enneris eût eu de la joie à le saisir à la gorge, cet intrus qui s’installait dans la vie selon son bon plaisir, et contrairement à ses volontés à lui, d’Enneris. Mais il aperçut Arlette qui s’était levée, et qui