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— Gilberte !… Ursule !… vite ! des sels… de l’éther. François, appelez Ursule.

François arriva le premier. C’était le concierge maître d’hôtel, et, sans doute, le seul domestique avec sa femme Ursule, aussi vieille que lui et plus ridée encore. Elle le suivit de près. Puis entra la personne que le comte nommait Gilberte et à qui il jeta vivement :

— Ma sœur, voici deux jeunes dames qui se trouvent indisposées.

Gilberte de Mélamare (divorcée, elle avait repris son nom de famille) était grande, brune, altière, avec un visage jeune et régulier, mais avec quelque chose d’un peu démodé dans la mise et dans la tournure. Elle avait plus de douceur que son frère. Ses yeux noirs, très beaux, montraient une expression grave. D’Enneris nota qu’elle portait des bandes de velours noir à sa robe prune.

Bien que la scène dût lui sembler inexplicable, elle garda tout son sang-froid. Ayant bassiné d’eau de Cologne le front d’Arlette, elle chargea Ursule de la soigner, puis s’approcha de Régine autour de laquelle Van Houben s’évertuait vivement. Jean d’Enneris écarta Van Houben, afin d’observer de près l’événement qu’il prévoyait. Gilberte de Mélamare s’inclina et dit :

— Et vous, madame ? Ce ne doit pas être bien sérieux, n’est-ce pas ? Qu’éprouvez-vous ?

Elle fit sentir un flacon de sels à Régine. Celle-ci souleva ses paupières, regarda cette dame, regarda sa robe prune à bandes de velours noir, puis ses mains, et se dressa tout à coup en criant, avec une terreur indicible :

— La bague ! Les trois perles ! Ne me touchez pas ! Vous êtes la femme de l’autre nuit ! Oui, c’est vous… je reconnais votre bague… je reconnais votre main… et aussi ce salon… ces meubles en soie bleue… le parquet… la cheminée… la tapisserie… le tabouret d’acajou… Ah ! laissez-moi, ne me touchez pas.

Elle balbutia encore quelques mots indistincts, chancela comme la première fois, et de nouveau s’évanouit. Et Arlette qui s’éveillait à son tour, reconnaissant les souliers pointus aperçus dans l’auto et entendant sonner la pendule au tintement aigrelet, gémissait :

— Ah ! cette sonnerie, c’est la même, et c’est la même femme… Quelle horreur !

La stupeur fut telle que personne ne bougea. La scène prenait une allure de vaudeville qui eût suscité le rire d’un témoin indifférent, et, de fait, les lèvres minces de Jean d’Enneris se plissèrent légèrement. Il s’amusait.

Van Houben interrogeait tour à tour d’Enneris et Béchoux, pour savoir que penser. Béchoux épiait attentivement le frère et la sœur, qui demeuraient interdits.

— Que signifient ces paroles ? murmura le comte. De quelle bague s’agit-il ? Je suppose que cette dame a le délire.

Alors d’Enneris intervint, et il le fit aussi allégrement que s’il n’attachait à tous ces événements aucune importance.

— Mon cher cousin, vous avez dit le mot juste, l’émoi de mes deux amies a quelque rapport avec ces sortes de fièvres injustifiées qui ne vont pas sans un soupçon de délire. Cela fait partie des explications que je vous dois et que je vous ai annoncées en venant ici. Voulez-vous m’accorder quelque nouveau délai ? et régler tout de suite cette petite question des objets recueillis par moi ?

Le comte Adrien ne répondit pas sur-le-champ. Il montrait un embarras mêlé d’une inquiétude visible, murmurant des phrases inachevées :

— À quoi cela rime-t-il, et que devons-nous supposer ? J’imagine difficilement…

Il prit sa sœur à part et ils causèrent tous deux avec animation. Mais Jean s’avança vers lui, tenant entre le pouce et l’index une petite plaque de cuivre ouvragée représentant deux papillons aux ailes déployées.

— Voici l’entrée de serrure, mon cher cousin. Je suppose que c’est bien celle qui manque à l’un des tiroirs de ce secrétaire ? Elle est identique aux deux autres.