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Quand elle eut donné l’adresse et qu’elle se fut enfermée, elle vit, par la lucarne du fond, l’ennemi qui s’engouffrait dans une autre voiture, laquelle démarra aussitôt.

Des rues… des rues encore… La suivait-on ? Arlette n’en savait rien et ne cherchait pas à le savoir. Sur une petite place, où l’on déboucha soudain, des autos en station se succédaient. Elle frappa à la vitre.

— Arrêtez, chauffeur. Voilà vingt francs, et continuez rapidement pour dépister quelqu’un qui s’acharne après moi.

Elle sauta dans un des taxis et redonna son adresse au nouveau chauffeur.

— À Montmartre, rue Verdrel, 55.

Elle était hors de danger, mais si lasse qu’elle s’évanouit.

Elle se réveilla sur le canapé de sa petite chambre, près d’un monsieur agenouillé qu’elle ne connaissait pas. Sa mère, attentive et inquiète, la regardait anxieusement. Arlette essaya de lui sourire, et le monsieur dit à la mère :

— Ne l’interrogez pas encore, madame. Non, mademoiselle, ne parlez pas. Écoutez d’abord. C’est votre patron, Chernitz, qui a prévenu Régine Aubry que vous aviez été enlevée dans les mêmes conditions qu’elle. La police a été aussitôt alertée. Plus tard, apprenant l’affaire par Régine Aubry, qui veut bien me compter au nombre de ses amis, je suis venu ici. Votre mère et moi, nous avons guetté dehors toute la soirée, devant la maison. J’espérais bien que les gens vous relâcheraient comme Régine Aubry. J’ai demandé à votre chauffeur d’où il venait : « De la place des Victoires. » Pas d’autres renseignements. Non, ne vous agitez pas. Vous nous raconterez tout cela demain.

La jeune fille gémissait, agitée par la fièvre, et par des souvenirs qui la tourmentaient comme des cauchemars. Elle referma les yeux, en chuchotant :

— On monte l’escalier.

De fait, quelqu’un sonna. La mère passa dans l’antichambre. Deux voix d’homme retentirent, et l’une d’elles proféra :

— Van Houben, madame. Je suis Van Houben, le Van Houben de la tunique de diamants. Quand j’ai connu l’enlèvement de votre fille, je me suis mis en chasse avec le brigadier Béchoux qui arrivait justement de voyage. Nous avons couru les commissariats, et nous voici. La concierge nous a dit qu’Arlette Mazolle était rentrée et, tout de suite, Béchoux et moi, nous venons nous enquérir auprès d’elle.

— Mais, monsieur…

— C’est d’une importance considérable, madame. Cette affaire est connexe à celle des diamants qu’on m’a volés. Ce sont les mêmes bandits… et il ne faut pas perdre une minute…

Sans plus attendre l’autorisation, il entra dans la petite chambre, suivi du brigadier Béchoux. Le spectacle qui s’offrit à lui sembla l’étonner outre mesure. Son ami Jean d’Enneris était à genoux devant un canapé, près d’une jeune personne étendue dont il baisait le front, les paupières et les joues, délicatement, d’un air appliqué, avec componction.

Van Houben balbutia :

— Vous, d’Enneris !… Vous !… Qu’est-ce que vous fichez là ?

D’Enneris étendit le bras et ordonna le silence.

— Chut ! pas tant de bruit… je calme la jeune fille… Rien de plus apaisant. Voyez comme elle s’abandonne…

— Mais…

— Demain… à demain… on se réunira chez Régine Aubry. D’ici là, le repos pour la malade… Ne jouons pas avec ses nerfs… À demain matin…

Van Houben demeurait confondu. La mère d’Arlette Mazolle ne comprenait rien à l’aventure. Mais, près d’eux, quelqu’un les dépassait en stupeur et en ahurissement : le brigadier Béchoux.

Le brigadier Béchoux, petit homme pâle et maigre, qui visait à l’élégance et qui était muni de deux bras énormes, écarquillait les yeux et contemplait Jean d’Enneris comme s’il eût été en face d’une apparition épouvantable. Il avait l’air de connaître d’Enneris et l’air aussi de ne pas le connaître, et il semblait chercher s’il n’y avait pas, sous ce masque jeune et souriant, une autre figure qui, pour lui, Béchoux, était celle du diable lui-même.

Van Houben présenta :

— Le brigadier Béchoux… M. Jean d’Enneris… Mais vous avez l’air de connaître d’Enneris, Béchoux ?

Celui-ci voulut parler. Il voulut poser des questions. Mais il ne le pouvait pas, et il considérait toujours d’un œil rond le flegmatique personnage qui poursuivait son étrange système de guérison…