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Et, s’asseyant à ses côtés, vivement il lui dit :

— Surtout, chère amie, ne gronde pas le prince Lavorneff, et ne crois pas qu’il m’ait laissé échapper une fois encore. Mais non, mais non, ce qu’ils ont emporté, ses amis et lui, c’est tout simplement un matelas et un mannequin de son, le tout roulé dans des couvertures. Quant à moi, je n’ai pas quitté cette ruelle où je m’étais réfugié, dès que tu avais abandonné ton poste derrière les volets.

Joséphine Balsamo demeurait inerte et aussi incapable de faire un geste que si on l’avait rouée de coups.

— Fichtre ! dit-il, tu n’es pas dans ton assiette. Veux-tu un petit verre de liqueur pour te remonter ? Je t’avoue d’ailleurs, Joséphine, que je comprends ton effondrement et je ne voudrais pas être à ta place. Tous les petits camarades partis… pas de secours possible avant une heure… et en face de toi, dans une chambre close, le dénommé Raoul. Il y a de quoi voir les choses en noir ! Infortunée Joséphine… Quelle culbute !

Il se baissa et ramassa la photographie de Clarisse.

— Comme elle est jolie, ma fiancée, n’est-ce pas ? J’ai remarqué avec plaisir que tu l’admirais tout à l’heure. Tu sais qu’on se marie dans quelques jours ?

La Cagliostro murmura :

— Elle est morte.

— En effet, dit-il, j’ai entendu parler de cela. Le petit jeune homme de tout à l’heure l’a frappée dans son lit, n’est-ce pas ?

— Oui.

— Un coup de poignard ?

— Trois coups de poignard, en plein cœur, dit-elle.

— Oh ! un seul suffisait, observa Raoul.

Elle répéta lentement, comme en elle-même.

— Elle est morte, elle est morte.

Il ricana.

— Que veux-tu ? Cela arrive tous les jours. Et ce n’est pas pour si peu que je vais changer mes projets. Morte ou vivante, je l’épouse. On s’arrangera comme on pourra… Tu t’es bien arrangée, toi.

— Que veux-tu dire ? demanda Joséphine Balsamo, qui commençait à s’inquiéter de ce persiflage.

— Oui, n’est-ce pas ? le baron t’a noyée une première fois. Une seconde fois tu as sauté avec ton bateau, le Ver-Luisant. Eh bien ! cela ne t’empêche pas d’être ici. De même ce n’est pas une raison parce que Clarisse a reçu trois coups de poignard dans le cœur pour que je ne l’épouse pas. D’abord es-tu bien sûre de ce que tu avances ?

— C’est un de mes hommes qui a frappé.

— Ou du moins qui t’a dit avoir frappé.

Elle l’observa.

— Pourquoi aurait-il menti ?

— Dame ! pour toucher les dix billets de mille que tu lui as remis.

— Dominique est incapable de me trahir. Pour cent mille francs, il ne me trahirait pas. En outre il sait bien que je vais le retrouver. Il m’attend avec les autres.

— Es-tu bien sûre qu’il t’attende, Josine ?

Elle tressaillit. Elle avait l’impression de se débattre dans un cercle de plus en plus étroit.

Raoul hocha la tête.

— C’est curieux comme nous avons fait, toi et moi, des boulettes vis-à-vis l’un de l’autre. Ainsi toi, ma bonne Joséphine, faut-il que tu sois naïve pour croire que j’aie pu couper une minute dans l’explosion du Ver-Luisant, dans le naufrage Pellegrini-Cagliostro, et dans les bourdes racontées par le prince Lavorneff ! Comment n’as-tu pas deviné qu’un garçon qui n’est pas un imbécile, que tu as formé à ton école — et quelle école, Vierge Marie ! — lirait dans ton jeu comme dans une Bible ouverte.

» Trop commode, en vérité, le naufrage ! On est chargé de crimes, on a les mains rouges de sang, la police court après vous. Alors on fait couler un vieux bateau, et tout le passé de crimes, le trésor volé, les richesses, tout cela fait naufrage. On passe pour mort. On fait peau neuve. Et on recommence un peu plus loin sous un autre nom, à tuer, à torturer et à se tremper les mains dans le sang. À d’autres, ma vieille ! Pour moi, quand j’ai lu ton naufrage, je me suis dit : « Ouvrons l’œil, et le bon ! » Et je suis venu ici !

Après un silence, Raoul reprit :

— Voyons, Joséphine, mais ta visite