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Ah !… un mot encore… les pierres précieuses ?

— On les a.

— Plus de danger ?

— Elles sont dans le coffre d’une banque, à Londres.

— Il y en a beaucoup ?

— Une valise pleine.

— Bigre ! Plus de cent mille francs pour moi, hein ?

— Davantage. Mais dépêche-toi… À moins que tu n’aimes mieux m’attendre…

— Non, non, dit-il vivement. J’ai hâte d’être loin… le plus loin possible… Mais vous ?…

— Je cherche s’il n’y a pas ici des papiers dangereux pour nous et je vous rejoins.

Il s’en alla. Aussitôt elle fouilla dans les tiroirs de la table et d’un petit secrétaire et, ne trouvant rien, explora les poches des vêtements pliés au chevet du lit.

Le portefeuille surtout attira son attention. Il contenait de l’argent, des cartes de visite, et une photographie.

C’était celle de Clarisse d’Étigues.

Joséphine Balsamo la contempla longuement, avec une expression où il n’y avait pas de haine, mais qui était dure et qui ne pardonnait pas.

Ensuite, elle demeura immobile, en une de ces attitudes absorbées, où ses yeux se fixaient sur on ne sait quel spectacle douloureux, tandis que les lèvres conservaient leur doux sourire.

Il y avait une glace en face d’elle où son image se reflétait. Elle s’y regarda en posant ses deux coudes sur le marbre de la cheminée. Son sourire s’accentua, comme si elle eût eu conscience de sa beauté et s’en fût réjouie. Elle portait un capuchon de bure marron qu’elle rabattit sur ses épaules et elle avança sur son front le voile impalpable qui ne quittait jamais ses cheveux, et qu’elle arrangeait comme la Vierge de Bernardino Luini.

Elle se regarda ainsi, durant quelques minutes. Puis elle retomba dans sa rêverie. Et le quart après onze heures sonna. Elle ne remuait plus. On eût dit qu’elle dormait, qu’elle dormait avec des yeux grands ouverts et immobiles.

À la longue, cependant, ils prirent, ces yeux, une expression moins vague, qui se fixait peu à peu. Il en est de même dans certains songes où toutes les idées, tumultueuses et incohérentes, se transforment en une idée de plus en plus précise, en une image de plus en plus exacte. Quelle était cette image déconcertante qu’il lui semblait apercevoir, et à laquelle vainement elle essayait de s’habituer ? Cela provenait de l’alcôve où s’enfermait le lit, et que les rideaux d’étoffe garnissaient tout autour. Or, derrière ces rideaux, il devait y avoir un espace libre, un couloir de dégagement, car on eût vraiment dit qu’une main les agitait.

Et cette main prenait des contours de plus en plus réels. Un bras la suivit, et, au-dessus de ce bras, bientôt surgit une tête.

Joséphine Balsamo, accoutumée aux séances spirites où l’ombre dessine des fantômes, donna un nom à celui que son imagination terrifiée faisait sortir des ténèbres. Celui-là était vêtu de blanc, et elle ne savait si la contraction de sa bouche était un sourire affectueux ou un rictus de colère.

Elle balbutia :

— Raoul… Raoul… Que me veux-tu ?

Le fantôme écarta l’un des rideaux et longea le lit.

Josine baissa les paupières en gémissant, puis les releva aussitôt. L’hallucination continuait, et l’être s’approchait avec des mouvements qui dérangeaient les choses et qui troublaient le silence. Elle voulut fuir. Mais tout de suite elle sentit sur son épaule l’étreinte d’une main qui n’était certes pas celle d’un fantôme. Et une voix joyeuse s’exclama :

— Dis donc, ma bonne Joséphine, si j’ai un conseil à te donner, c’est de demander au prince Lavorneff de t’offrir une petite croisière de repos. Tu en as besoin, ma bonne Joséphine. Comment ! Tu me prends pour un fantôme, moi, Raoul d’Andrésy ! J’ai beau être en chemise de nuit et en caleçon, je ne suis cependant pas un inconnu pour toi.

Tandis qu’il enfilait son costume et qu’il renouait sa cravate, elle répétait :

— Toi ! Toi !…

— Mon Dieu, oui, moi !