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Le surlendemain, les journaux du Havre inséraient une série de nouvelles que cet article résume assez fidèlement :

« L’autre nuit, le prince Lavorneff, venu au Havre pour mettre à l’essai un yacht de plaisance qu’il avait récemment acheté, a été le témoin d’un drame terrifiant. Il revenait vers les côtes françaises, lorsque des flammes s’élevèrent, et qu’une explosion se fit entendre à un demi-mille de distance tout au plus. Notons en passant que cette explosion fut entendue de plusieurs endroits de la côte.

» Aussitôt le prince Lavorneff dirigea son yacht vers le lieu du sinistre, où il finit par découvrir quelques épaves qui surnageaient. L’une d’elles portait un matelot que l’on put recueillir. Mais on eut à peine le temps de l’interroger et d’apprendre de lui que le bateau s’appelait le Ver-Luisant et appartenait à la comtesse de Cagliostro. Tout de suite il plongea de nouveau, en criant : « C’est elle… c’est elle. »

» De fait, à la lueur des lanternes, on aperçut une autre épave à laquelle se cramponnait une femme dont la tête flottait sur l’eau.

» L’homme réussit à la rejoindre et à la soulever, mais elle s’accrocha si désespérément à lui qu’elle paralysa ses mouvements et qu’on les vit disparaître. Toutes les recherches furent inutiles.

» De retour au Havre, le prince Lavorneff a fait sa déposition que confirmèrent les quatre hommes de son équipage… »

Et le journal ajoutait :

« Les derniers renseignements portent à croire que la comtesse de Cagliostro était une aventurière bien connue sous le nom de la Pellegrini, et qui portait aussi à l’occasion le nom de Balsamo. Traquée par la police qui a failli deux ou trois fois la capturer dans des localités du pays de Caux où elle opérait en ces derniers temps, elle aura résolu de passer à l’étranger, et c’est ainsi qu’elle aura péri avec tous ses complices dans le naufrage de son yacht, le Ver-Luisant.

» Nous mentionnerons, en outre, sous toutes réserves, un bruit d’après lequel il y aurait corrélation étroite entre certaines aventures de la comtesse de Cagliostro et le drame mystérieux du Mesnil-sous-Jumièges. On parle de trésor déterré et volé, de conspiration, de documents séculaires.

» Mais ici nous entrons dans le domaine de la fable. Arrêtons-nous et laissons la justice éclaircir cette affaire. »

L’après-midi du jour où ces lignes paraissaient, c’est-à-dire exactement soixante heures après le drame du Mesnil-sous-Jumièges, Raoul entrait dans le bureau du baron Godefroy, à la Haie d’Étigues, dans ce même bureau où, quatre mois auparavant, une nuit, il avait pénétré. Que de chemin parcouru depuis et de combien d’années l’adolescent qu’il était alors avait vieilli !

Devant un guéridon, les deux cousins fumaient et buvaient de grands verres de cognac.

Sans préambule, Raoul expliqua :

— Je viens réclamer la main de Mlle d’Étigues et je suppose…

Il n’était guère en tenue pour une demande en mariage. Pas de chapeau ni de casquette. Sur le dos, une vieille vareuse de matelot. Aux jambes un pantalon trop court qui laissait voir ses pieds nus dans des espadrilles sans rubans.

Mais la tenue de Raoul pas plus que l’objet de sa démarche n’intéressaient Godefroy d’Étigues. Les yeux caves, le visage encore plus tourmenté, il allongea vers Raoul un paquet de journaux en gémissant :

— Vous avez lu ? La Cagliostro ?

— Oui, je sais… dit Raoul.

Il exécrait cet homme, et il ne put s’empêcher de lui dire :

— Tant mieux pour vous, hein ? La mort définitive de Joséphine Balsamo, c’est une chose qui doit vous délivrer d’un rude poids !

— Mais la suite ?… les conséquences ? balbutia le baron.

— Quelles conséquences ?

— La justice ? Elle essaiera de débrouiller l’affaire. Déjà, à propos du suicide de Beaumagnan, on parla de la Cagliostro. Si la justice renoue tous les fils de l’affaire, elle ira plus loin, jusqu’au bout.