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nale ? Avait-il besoin, comme le firent ses compagnons, de se jeter à terre et de fouiller dans le chaos pour y découvrir une parcelle oubliée du trésor ? Non ! non ! après le passage de la sorcière, il n’y avait plus que poussière et que cendre ! Elle était le grand fléau qui dévaste et qui tue. Elle était l’incarnation même du Satan. Elle était le néant et la mort !

Il se dressa, toujours théâtral et romantique en ses attitudes les plus naturelles, promena autour de lui des yeux douloureux, puis, subitement, ayant fait un signe de croix, il se frappa la poitrine d’un grand coup de poignard, de ce poignard qui appartenait à Joséphine Balsamo.

Le geste fut si brusque et si inattendu que rien n’eût pu le prévenir. Avant même que ses amis et que Raoul eussent compris, Beaumagnan s’écroulait dans la fosse, parmi les débris de ce qui avait été le coffre-fort des moines. Ses amis se précipitèrent sur lui. Il respirait encore, et il balbutia :

— Un prêtre… un prêtre…

Bennetot s’éloigna en hâte. Des paysans accouraient. Il les interrogea et sauta dans la voiture.

À genoux, près de la fosse, Godefroy d’Étigues priait et se frappait la poitrine… Sans doute Beaumagnan lui avait-il révélé que Joséphine Balsamo vivait encore et connaissait tous ses crimes. Cela, et le suicide de Beaumagnan le rendait fou. La terreur creusait son visage.

Raoul se pencha sur Beaumagnan et lui dit :

— Je vous jure que je la retrouverai. Je vous jure que je lui reprendrai les richesses.

La haine et l’amour persistaient au cœur du moribond. Seules de telles paroles pouvaient prolonger son existence de quelques minutes. À l’heure de l’agonie, dans l’effondrement de tous ses rêves, il se rattachait désespérément à tout ce qui était représailles et vengeance.

Ses yeux appelaient Raoul qui s’inclina davantage et entendit le bégaiement :

— Clarisse… Clarisse d’Étigues… il faut l’épouser… Écoute… Clarisse n’est pas la fille du baron… il me l’a avoué… c’est la fille d’un autre qu’elle aimait…

Raoul prononça gravement :

— Je vous jure de l’épouser… je vous le jure…

— Godefroy… appela Beaumagnan.

Le baron continuait à prier. Raoul lui frappa l’épaule et le courba au-dessus de Beaumagnan qui bredouilla :

— Clarisse épousera d’Andrésy… je le veux…

— Oui… oui… fit le baron, incapable de résistance.

— Jure-le.

— Je le jure.

— Sur ton salut éternel ?

— Sur mon salut éternel.

— Tu lui donneras ton argent pour qu’il nous venge… toutes les richesses que tu as volées… Tu le jures ?

— Sur mon salut éternel.

— Il connaît tous tes crimes. Il en a les preuves. Si tu n’obéis pas, il te dénoncera.

— J’obéirai.

— Sois maudit, si tu mens.

La voix de Beaumagnan s’exhalait en souffles rauques où les mots devenaient de plus en plus indistincts. Couché près de lui, Raoul les recueillait avec peine.

— Raoul, tu la poursuivras… il faut lui arracher les bijoux… C’est le démon… Écoute… J’ai découvert… au Havre… elle a un bateau… le Ver-Luisant… Écoute…

Il n’avait plus la force de parler. Cependant, Raoul entendit encore :

— Va-t’en… tout de suite… cherche-là… dès aujourd’hui…

Les yeux se fermèrent. Le râle commençait.

Godefroy d’Étigues ne cessait de se marteler la poitrine, à genoux au creux de la fosse.

Raoul s’en alla.

Le soir, un journal de Paris publiait en dernière heure :

« M. Beaumagnan, avocat bien connu dans les cercles militants royalistes, et dont on avait déjà, par erreur, annoncé la mort en Espagne, s’est tué ce matin au village normand de Mesnil-sous-jumièges, sur les bords de la Seine.

» Les raisons de ce suicide sont absolument mystérieuses. Deux de ses amis, MM.  Godefroy d’Étigues et Oscar de Bennetot, qui l’accompagnaient, racontent que cette nuit ils couchaient au château de Tancarville où ils étaient invités pour quelques jours, lorsque M. Beaumagnan les réveilla. Il était blessé et dans un état d’agitation extrême. Il exigea de ses amis qu’on attelât et qu’on se rendît aussitôt à Jumièges, et de là au Mesnil-sous-Jumièges. Pourquoi ? Pourquoi cette expédition dans une prairie isolée ? Pourquoi ce suicide ? Autant de questions auxquelles il leur est impossible de rien comprendre. »