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 » Une petite balle là-dedans, et tu auras beau implorer les mânes de ton père… bernique ! pas un sou pour la Josette ! Je te le répète, ma petite Joséphine, je suis « tabou » comme on dit en Polynésie. Tabou des pieds à la tête ! Mets-toi à genoux et baise-moi la main, c’est ce que tu as de mieux à faire.

Il ouvrit une fenêtre latérale qui donnait sur le clos et soupira :

— On étouffe ici. Décidément, Léonard sent le renfermé. Tu tiens beaucoup, Joséphine, à ce que ton bourreau garde sa main au fond de sa poche à revolver ?

Elle frappa du pied.

— Assez de bêtises ! déclara-t-elle. Tu as posé tes conditions, tu connais les miennes.

— La bourse ou la vie.

— Parle, et tout de suite, Raoul.

— Comme tu es pressée ! D’abord, j’ai fixé un délai de vingt minutes pour être bien sûr que Clarisse soit à l’abri de tes griffes, et nous sommes loin des vingt minutes. En outre…

— Quoi encore ?

— En outre comment veux-tu que je déchiffre en cinq sec un problème que l’on s’évertue vainement à résoudre depuis des années et des années ?

Elle fut abasourdie.

— Que veux-tu dire ?

— Rien que de très simple. Je demande un peu de répit.

— Du répit ? Mais pourquoi ?

— Pour déchiffrer…

— Hein ? Tu ne savais donc pas ?…

— Le mot de l’énigme ? Ma foi, non.

— Ah ! tu as menti !

— Pas de gros mots, Joséphine.

— Tu as menti, puisque tu as juré…

— Sur la tombe de ma pauvre maman oui, et je ne me dérobe pas. Mais il ne faut pas confondre autour avec alentour. Je n’ai pas juré que je savais la vérité. J’ai juré que je te dirais la vérité.

— Pour dire, il faut savoir.

— Pour savoir, il faut réfléchir, et tu ne m’en laisses pas le temps ! Sacrebleu ! un peu de silence… et puis, que Léonard lâche la crosse de son revolver : ça me dérange.

Plus encore que ses plaisanteries, le ton de persiflage et d’insolence avec lequel il les débitait avait quelque chose d’horripilant pour la Cagliostro.

Excédée, sentant la vanité de toute menace, elle lui dit :

— À ton aise ! Je te connais, tu tiendras ton engagement.

Il s’écria :

— Ah ! si tu me prends par la douceur… je n’ai jamais pu résister à la douceur… Garçon, de quoi écrire ! Du papier de paille fine, une plume de colibri, le sang d’une mûre noire, et, comme écritoire, l’écorce d’un cédrat, ainsi qu’a dit le poète.

Il tira de son portefeuille un crayon et une carte de visite sur laquelle quelques mots étaient déjà disposés d’une façon spéciale. Il traça quelques barres pour relier ces mots les uns aux autres. Puis, au verso, il inscrivit la formule latine :

Ad lapidem currebat olim regina.

— Quel latin de cuisine ! dit-il à mi-voix. Il me semble qu’à la place des bons moines, j’aurais trouvé mieux, tout en obtenant le même résultat. Enfin, acceptons ce qui est. Donc la reine piquait un galop vers la borne… Regarde ta montre, Joséphine.

Il ne riait plus. Durant une ou deux minutes peut-être, sa figure fut empreinte de gravité, et ses yeux, comme fixés sur le vide disaient l’effort de la méditation. Il s’aperçut cependant que Josine l’observait d’un regard où il y avait une admiration et une confiance illimitées, et il lui sourit distraitement sans rompre le fil de ses idées.

— Tu vois la vérité, n’est-ce pas ? dit-elle.

Immobile sous ses liens, le visage tendu par l’anxiété, Beaumagnan écoutait. Est-ce que vraiment le formidable secret allait être divulgué ?

Il se passa encore une ou deux minutes, tout au plus, dans un silence infini.

Joséphine Balsamo prononça :

— Qu’est-ce que tu as, Raoul ? tu sembles tout ému.

— Oui, oui, très ému, dit-il. Toute cette histoire, ces richesses dissimulées dans une borne, en plein champ, cela déjà ne manque pas d’être assez curieux. Mais ce n’est rien, Josine, ce n’est rien à côté de l’idée même qui domine cette histoire. Tu ne peux pas t’imaginer comme c’est étrange… et comme c’est beau !… Quelle poésie et quelle naïveté !

Il se tut ; puis, au bout d’un instant, il affirma sentencieusement :