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— Le mariage ! Le mariage avec Raoul ! Le baron d’Étigues accepterait ?…

— Dame !

— Mensonges ! s’exclama-t-elle. Commérages de bonne femme ou plutôt non, invention de ta part. Il n’y a pas un mot de vrai dans tout cela. Ils ne se sont jamais revus.

— Ils s’écrivent.

— La preuve, Beaumagnan ! la preuve immédiate !

— Une lettre te suffirait-elle ?

— Une lettre ?

— Écrite par lui à Clarisse.

— Écrite il y a quatre mois ?

— Il y a quatre jours.

— Tu l’as ?

— La voici.

Raoul, qui écoutait anxieusement tressaillit. Il reconnaissait l’enveloppe et le papier de la lettre qu’il avait envoyée de Lillebonne à Clarisse d’Étigues.

Josine prit le document et lut tout bas, en articulant chaque syllabe :

« Pardonnez-moi, chère Clarisse. J’ai agi avec vous comme un misérable. Espérons en un avenir meilleur, et pensez à moi avec toute l’indulgence de votre cœur généreux. Encore pardon, Clarisse, et pardon. — Raoul. »

Elle eut à peine la force d’achever la lecture de cette lettre qui la reniait et qui la blessait au plus sensible de son amour-propre. Elle chancelait. Ses yeux cherchèrent ceux de Raoul. Il comprit que Clarisse était condamnée à mort, et, au fond de lui, il sut qu’il n’aurait plus que de la haine contre Joséphine Balsamo.

Beaumagnan expliquait :

— C’est Godefroy qui a intercepté cette lettre et qui me l’a remise en me demandant conseil. L’enveloppe étant timbrée de Lillebonne, c’est ainsi que j’ai retrouvé vos traces à tous deux.

La Cagliostro se taisait. Son visage marquait une souffrance si profonde que l’on eût pu s’en émouvoir, et prendre aussi pitié des larmes lentes qui coulaient sur ses joues, si sa douleur n’avait pas été visiblement dominée par un âpre souci de vengeance. Elle combinait des plans. Elle établissait des embûches.

Hochant la tête, elle dit à Raoul :

— Je t’avais averti, Raoul.

— Un homme averti en vaut deux, fit-il d’un ton gouailleur.

— Ne plaisante pas ! s’écria-t-elle impatientée. Tu sais ce que je t’ai dit, et qu’il était préférable de ne jamais la mettre en travers de notre amour.

— Et tu sais également ce que je t’ai dit, moi, riposta Raoul, de son même air agaçant. Si jamais tu touches un seul de ses cheveux…

Elle tressaillit.

— Ah ! comment peux-tu te moquer ainsi de ma souffrance et prendre le parti d’une autre femme contre moi ?… Contre moi ! Ah ! Raoul, tant pis pour elle !

— T’effraie pas, dit-il. Elle est en sûreté, puisque je la protège.

Beaumagnan les observait, heureux de leur discorde et de toute cette haine qui bouillonnait en eux. Mais Joséphine Balsamo se contint, jugeant sans doute que c’était perdre du temps que de parler d’une vengeance qui viendrait à son heure. Pour le moment d’autres soucis l’occupaient, et elle murmura, avouant sa pensée intime et prêtant l’oreille :

— On a sifflé, n’est-ce pas, Beaumagnan ? C’est un de mes hommes qui surveillent les allées par où l’on peut arriver, qui me prévient… La personne que nous attendons doit être en vue… Car je suppose que, toi aussi, tu es là pour elle ?

De fait la présence de Beaumagnan et ses desseins secrets n’étaient pas très clairs. Comment avait-il pu savoir le jour et l’heure du rendez-vous ? Quelles données spéciales possédait-il relativement à l’affaire Rousselin ?

Elle jeta un coup d’œil sur Raoul. Celui-là, bien attaché, ne pouvait la gêner dans ses combinaisons et ne participerait pas à la dernière bataille. Mais Beaumagnan paraissait l’inquiéter, et elle l’entraînait vers la porte comme si elle avait voulu aller au-devant de la personne attendue, lorsque, à l’instant même où elle sortait, des pas se firent entendre. Elle revint donc en arrière, avec un geste qui repoussa Beaumagnan et livra passage à Léonard.

Celui-ci examina vivement les deux hommes, puis prit à part la Cagliostro, et lui dit quelques mots à l’oreille.

Elle sembla stupéfaite et marmotta :

— Qu’est-ce que tu dis ?… qu’est-ce que tu dis ?…

Elle détourna la tête pour qu’on ne pût connaître le sentiment qu’elle éprouvait, mais Raoul eut l’impression d’une grande joie.

— Ne bougeons pas, fit-elle… On vient… Léonard, prends ton revolver. Quand on aura franchi le seuil, ajuste.

Elle apostropha Beaumagnan qui essayait d’ouvrir la porte.

— Mais vous êtes fou ? Qu’y a-t-il ? Restez donc là.

Comme Beaumagnan insistait, elle s’irrita.