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mensonge quelque part, c’est celui de ta beauté.

Elle se taisait. L’ombre de son chapeau de paille adoucissait encore son doux visage. Les injures de son amant ne l’effleuraient point. Elle était toute séduction et tout enchantement.

Il fut troublé jusqu’au fond de son être. Jamais elle ne lui avait paru si belle et si désirable, et il se demanda si ce n’était pas une folie que de reprendre une liberté qu’il maudirait dès le lendemain. Elle affirma :

— Ma beauté n’est pas un mensonge, Raoul, et tu reviendras parce que c’est pour toi que je suis belle.

— Je ne reviendrai pas.

— Si, tu ne peux plus vivre sans moi, la Nonchalante est proche. Je t’y attends demain…

— Je ne reviendrai pas, dit-il, prêt, une fois de plus, à plier le genou.

— En ce cas, pourquoi trembles-tu ? Pourquoi es-tu si pâle ?

Il comprit que son salut dépendait de son silence, qu’il fallait fuir sans répondre et sans tourner la tête.

Il repoussa les deux mains de Josine, qui s’accrochaient à lui, et s’en alla…



XI.

Le vieux phare

Toute la nuit, prenant les chemins qui se présentaient à lui, Raoul pédala, autant pour dépister les recherches que pour s’infliger une fatigue salutaire. Le matin, exténué, il échouait dans un hôtel de Lillebonne.

Il défendit qu’on l’éveillât, ferma sa porte à double tour, et jeta la clef par la fenêtre. Il dormit plus de vingt-quatre heures.

Quand il fut habillé et restauré, il ne pensa plus qu’à se remettre sur sa machine et à retourner vers la Nonchalante. La lutte contre l’amour commençait.

Il était très malheureux, et, n’ayant jamais souffert, ayant toujours obéi à ses moindres caprices, il s’irritait contre un désespoir auquel il lui eût été si facile de mettre fin.

— Pourquoi ne pas céder ? se disait-il. En deux heures je suis là-bas. Et qui m’empêche alors de repartir quelques jours plus tard, quand je serai mieux préparé à la rupture ?

Mais il ne pouvait pas. Vraiment la vision de cette main mutilée l’obsédait et commandait toute sa conduite, en l’obligeant à évoquer toutes les autres actions barbares et odieuses que laissait supposer cette action inconcevable.

Josine avait fait cela ; donc Josine avait tué, donc Josine ne reculait pas devant l’œuvre de mort et trouvait simple et naturel de tuer et de tuer encore, lorsque le crime favorisait ses entreprises. Or Raoul avait peur du crime. C’était une répulsion physique, un soulèvement de tout son instinct. L’idée qu’il pouvait être entraîné, dans un accès d’aberration, à verser le sang lui faisait horreur. Et voilà que, à cette horreur, la plus tragique des réalités associait indissolublement l’image même de la femme qu’il aimait.

Il resta donc, mais au prix de quels efforts ! Que de sanglots il refoula ! Par quels gémissements s’exhala sa révolte impuissante ! Josine lui tendait ses beaux bras et lui offrait le baiser de sa bouche. Comment résister à l’appel de la voluptueuse créature ?

Touché au plus profond de son égoïsme, pour la première fois il eut conscience de la peine infinie qu’il avait dû faire à Clarisse d’Étigues. Il devina ses pleurs. Il imagina la détresse navrante de cette vie déçue. Secoué de remords il lui adressait des discours pleins de tendresse et où il rappelait les heures touchantes de leur amour.

Il fit plus. Sachant que la jeune fille recevait directement les lettres, il osa lui écrire.

« Pardonnez-moi, chère Clarisse. J’ai agi avec vous comme un misérable. Espérons en un avenir meilleur et pensez à moi avec toute l’indulgence de votre cœur généreux. Encore pardon, chère Clarisse, et pardon. — Raoul. »

— Ah ! se disait-il, auprès d’elle comme j’oublierais vite toutes ces vilaines choses ! L’essentiel n’est pas d’avoir des yeux purs et des lèvres douces, mais une âme loyale et grave comme celle de Clarisse !

Seulement c’étaient les yeux et le sourire ambigu de Josine qu’il adorait, et, quand il songeait aux caresses de la jeune femme, il se souciait peu qu’elle eût une âme qui ne fût ni loyale ni grave.

Entre-temps, il s’occupait de chercher ce vieux phare auquel la veuve Rousselin avait fait allusion. Étant donné qu’elle habitait Lillebonne, il n’avait pas douté que l’endroit ne fût situé aux environs, et c’était la cause de la direction prise par lui dès le premier soir.

Il ne se trompait pas. Il lui suffit de s’informer pour savoir, d’abord, qu’il y avait un ancien phare désaffecté dans les bois qui ceignent le château de Tancarville, et, ensuite, que le propriétaire de ce phare en avait confié les clefs à la veuve Rousselin qui, chaque semaine et justement le jeudi, allait y mettre un peu d’ordre. Ces clefs, une simple expédition nocturne les lui procura.