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Raoul demeura immobile, tout à l’atroce vision de cette main torturée, et son émoi était tel qu’il ne remarqua pas le manège de Léonard et des trois Corbut qui commençaient un mouvement tournant, et se rabattaient sur lui. Quand il s’en aperçut les quatre hommes l’environnaient et cherchaient à l’acculer vers le potager… Aucun paysan n’était en vue, la situation semblait si favorable à Léonard qu’il sortit son couteau.

— Rentre cela, et laisse-nous, dit Josine. Vous aussi les Corbut. Pas de bêtises, hein ?

Elle n’avait pas quitté sa chaise durant toute la scène, et maintenant elle surgissait d’entre les arbustes.

Léonard protesta :

— Pas de bêtises ? La bêtise, c’est de le laisser. Pour une fois qu’on le tient !

— Va-t’en ! exigea-t-elle.

— Mais cette femme… cette femme nous dénoncera !…

— Non. La veuve Rousselin n’a pas d’intérêt à parler. Au contraire.

Léonard s’éloignant, elle vint tout à côté de Raoul.

Il la regarda longuement, et d’un regard mauvais qui parut la gêner, au point qu’elle plaisanta aussitôt pour interrompre le silence.

— Chacun son tour, n’est-ce pas, Raoul ? Entre toi et moi, le succès passe de l’un à l’autre. Aujourd’hui, tu as le dessus. Demain… Mais qu’y a-t-il donc ? Tu as un air si drôle ! et des yeux si durs…

Il dit nettement :

— Adieu, Josine.

Elle pâlit un peu.

— Adieu ? fit-elle. Tu veux dire « au revoir ».

— Non, adieu.

— Alors… alors… cela signifie que tu ne veux plus me revoir ?

— Je ne veux plus te revoir.

Elle baissa les yeux. Un frisson saccadé agitait ses paupières. Ses lèvres étaient souriantes et, à la fois, infiniment douloureuses.

À la fin elle chuchota :

— Pourquoi, Raoul ?

— Parce que j’ai vu une chose, dit-il, que je ne peux pas… que je ne pourrai jamais te pardonner.

— Quelle chose ?

— La main de cette femme.

Elle sembla défaillir et murmura :

— Ah ! je comprends… Léonard lui a fait du mal… Je lui avais pourtant défendu… et je croyais qu’elle avait cédé sur de simples menaces.

— Tu mens, Josine. Tu entendais les cris de cette femme comme tu les entendais dans la forêt de Maulévrier. Léonard exécute, mais la volonté du mal, l’intention du meurtre, est en toi, Josine. C’est toi qui as dirigé ton complice vers la petite maison de Montmartre, avec l’ordre de tuer Brigitte Rousselin si elle résistait. C’est toi qui naguère mêlais du poison aux poudres que devait avaler Beaumagnan. C’est toi qui, les années précédentes, toi qui supprimais les deux amis de Beaumagnan, Denis Saint-Hébert et Georges d’Isneauval.

Elle se révolta.

— Non, non, je ne te permets pas… ce n’est pas vrai, et tu le sais, Raoul.

Il haussa les épaules.

— Oui, la légende de l’autre femme, créée pour les besoins de la cause… une autre femme qui te ressemble et qui commet des crimes, tandis que toi, Joséphine Balsamo, tu te contentes d’aventures moins brutales ! J’y ai cru, à cette légende. Je me suis laissé embrouiller dans toutes ces histoires de femmes identiques, fille, petite-fille, arrière petite-fille des Cagliostro. Mais c’est fini, Josine. Si mes yeux se fermaient volontairement pour ne pas voir ce qui m’épouvantait, le spectacle de cette main torturée les a ouverts définitivement sur la vérité.

— Sur des mensonges, Raoul ! sur des interprétations fausses. Je n’ai pas connu les deux hommes dont tu parles.

Il dit avec lassitude :

— Cela se peut. Il n’est pas tout à fait impossible que je me trompe, mais il est tout à fait impossible que je te voie désormais à travers ce brouillard de mystère qui te cachait. Tu n’es plus mystérieuse pour moi, Josine. Tu m’apparais telle que tu es, c’est-à-dire comme une criminelle.

Il ajouta plus bas :

— Comme une malade même. S’il y a un