Page:Leblanc - La Comtesse de Cagliostro, paru dans Le Journal, 1923-1924.djvu/65

Cette page a été validée par deux contributeurs.

voilà… on doit se retrouver jeudi… au vieux phare… Et puis non… je n’ai pas le droit… j’aime mieux mourir… faites ce que vous voudrez… vrai… j’aime mieux mourir… »

Elle se tut. Léonard grogna :

— Eh bien ! quoi ? qu’est-ce qu’elle a, cette vieille entêtée ? Pas morte, j’espère ?… Ah ! bourrique, tu parleras !… Je te donne dix minutes pour en finir !…

La porte fut ouverte, puis refermée. Sans doute allait-il mettre la Cagliostro au courant des aveux obtenus, et prendre des instructions sur la suite que l’on devait donner à l’interrogatoire. De fait Raoul s’étant relevé, les vit tous deux au-dessous de lui, assis l’un près de l’autre. Léonard s’exprimait avec agitation. Josine écoutait.

Les misérables ! Raoul les exécrait tous deux, l’un autant que l’autre. Les gémissements de la veuve Rousselin l’avaient bouleversé, et il était tout frémissant de colère et de volonté agressive. Rien au monde ne pourrait l’empêcher de sauver cette femme.

Selon son habitude, il entra en action au même moment où la vision des choses qu’il fallait accomplir se déroulait devant lui dans leur ordre logique. En de pareils cas, l’hésitation risque de tout compromettre. La réussite dépend de l’audace avec laquelle on se précipite à travers des obstacles qu’on ne connaît même point.

Il jeta un coup d’œil sur ses adversaires. Tous les cinq se trouvaient éloignés de la grotte. Vivement il pénétra dans la cheminée, en se tenant debout cette fois. Son intention était de pratiquer aussi doucement que possible un passage au milieu des décombres : mais, presque aussitôt, il fut entraîné par une avalanche, subitement provoquée, de tous les débris en équilibre, et d’un seul coup tomba du haut en bas, dans un fracas de pierres et de briques.

« Fichtre, se dit-il, pourvu qu’ils n’aient rien entendu, dehors ! »

Il prêta l’oreille. Personne ne venait.

L’obscurité était si grande qu’il se croyait encore dans l’âtre de la cheminée. Mais, en étendant les bras, il constata que le conduit aboutissait directement à la grotte, ou plutôt à une sorte de boyau creusé à l’arrière de la grotte, et si exigu que, tout de suite, sa main rencontra une autre main qui lui parut brûlante. Ses yeux s’accoutumant aux ténèbres, Raoul vit des prunelles étincelantes qui se fixaient sur lui, une figure blême et creuse que la peur convulsait.

Ni liens, ni bâillon. À quoi bon ? La faiblesse et l’effroi de la captive rendaient toute évasion impossible.

Il se pencha et lui dit :

— N’ayez aucune crainte. J’ai sauvé de la mort votre fille Brigitte, victime également de ceux qui vous persécutent à cause de ce coffret et des bagues. Je suis sur vos traces depuis votre départ de Lillebonne, et je viens vous sauver aussi, mais à condition que vous ne direz jamais rien de tout ce qui s’est passé.

Mais pourquoi des explications que la malheureuse était incapable de comprendre ? Sans plus s’attarder, il la prit dans ses bras et la chargea sur son épaule. Puis, traversant la grotte, il poussa doucement la porte qui n’était que fermée, comme il le supposait.

Un peu plus loin, Léonard et Josine continuaient à s’entretenir. Derrière eux, en bas du potager, la route blanche s’allongeait jusqu’au gros bourg de Duclair, et, sur cette route, il y avait des charrettes de paysans qui s’en venaient ou qui s’éloignaient.

Alors, quand il jugea l’instant propice, il ouvrit la porte d’un coup, dégringola la pente du potager, et coucha la veuve Rousselin au revers du talus.

Tout de suite, autour de lui, des clameurs. Les Corbut se ruaient en avant ainsi que Léonard, tous les quatre dans un élan irréfléchi qui les poussait à la bataille. Mais que pouvaient-ils ? Une voiture approchait, dans un sens. Une autre en sens inverse. Attaquer Raoul en présence de tous ces témoins, et reprendre de haute lutte la veuve Rousselin, c’était se livrer et attirer contre soi l’inévitable enquête et les représailles de la justice. Ils ne bougèrent pas. C’est ce que Raoul avait prévu.

Le plus tranquillement du monde, il interpella deux religieuses aux larges cornettes, dont l’une conduisait un petit break attelé d’un vieux cheval et il leur demanda de secourir une pauvre femme qu’il avait trouvée au bord de la route, évanouie, les doigts écrasés par une voiture.

Les bonnes sœurs, qui dirigeaient à Duclair un asile et une infirmerie, s’empressèrent. On installa la veuve Rousselin dans le break et on l’enveloppa de châles. Elle n’avait pas repris connaissance et délirait, agitant sa main mutilée dont le pouce et l’index étaient tuméfiés et sanguinolents.

Et le break partit au petit trot.