Page:Leblanc - La Comtesse de Cagliostro, paru dans Le Journal, 1923-1924.djvu/62

Cette page a été validée par deux contributeurs.

— Allons, dit-elle brusquement, ne mens pas. C’est Clarisse d’Étigues. Penses-tu que je ne l’aie jamais vue et que j’ignore votre liaison ? Elle a été ta maîtresse, n’est-ce pas ?

— Non, non, jamais, fit-il vivement.

— Elle a été ta maîtresse, répéta-t-elle, j’en ai la conviction, et elle t’aime, et rien n’est rompu entre vous.

Il haussa les épaules, mais, comme il voulait défendre la jeune fille, Josine l’interrompit.

— Assez là-dessus, Raoul. Tu es prévenu, ça vaut mieux. Je ne tenterai rien pour la rencontrer, mais si jamais les circonstances la mettent sur mon chemin, tant pis pour elle.

— Et tant pis pour toi, Josine, si tu touches à un seul de ses cheveux s’écria Raoul imprudemment.

Elle pâlit. Son menton trembla légèrement, et, posant sa main sur le cou de Raoul, elle balbutia :

— Ainsi tu oses prendre son parti contre moi !… contre moi !…

Sa main, toute froide, se crispait. Raoul eut l’impression qu’elle allait l’étrangler, et il se leva, d’un bond, hors du lit. À son tour elle s’effara, croyant à une attaque, et elle tira de son corsage un stylet dont la lame brilla.

Ils se contemplèrent ainsi, l’un en face de l’autre, dans cette posture agressive, et c’était si pénible que Raoul murmura :

— Oh ! Josine, quelle tristesse ! est-il croyable que nous en soyons arrivés à ce point.

Tout émue également, elle tomba assise, tandis qu’il se précipitait à ses pieds.

— Embrasse-moi, Raoul… embrasse-moi… et ne pensons plus à rien.

Ils s’étreignirent passionnément, mais il remarqua qu’elle n’avait pas lâché le poignard, et qu’un simple geste eût suffi pour qu’elle le lui plantât dans la nuque.

Le jour même, à huit heures du matin, Raoul quittait la Nonchalante.

« Je ne dois rien espérer d’elle, se disait-il. De l’amour, oui elle m’aime, et sincèrement, et elle voudrait comme moi que cet amour fût sans réserve. Mais cela ne peut pas être. Elle a une âme d’ennemie. Elle se défie de tout et de tous, et de moi tout le premier. »

Au fond, elle demeurait impénétrable pour lui. En dépit de tous les soupçons et de toutes les preuves, et bien que l’esprit du mal fût en elle, il se refusait à admettre qu’elle pût aller jusqu’au crime. L’idée du meurtre ne pouvait s’allier à ce doux visage que la haine ou la colère ne parvenait pas à rendre moins doux. Non, les mains de Josine étaient pures de sang.

Mais il songeait à Léonard et il ne doutait pas que celui-là ne fût capable de soumettre la mère Rousselin aux plus affreuses tortures.

De Rouen à Duclair, et en avant cette localité, la route court entre les vergers qui bordent la Seine et la blanche falaise qui domine le fleuve. Des trous sont creusés à même la craie et servent à des paysans ou à des ouvriers pour y abriter leurs instruments, quelquefois pour y loger eux-mêmes, C’est ainsi que Raoul avait enfin noté qu’une de ces grottes était occupée par trois hommes qui tressaient des paniers avec le jonc des rives voisines. Un bout de jardin potager sans clôture la précédait.

Une surveillance attentive et quelques détails suspects permirent à Raoul de supposer que le père Corbut et ses deux fils, tous trois braconniers, maraudeurs et de réputation détestable, étaient au nombre de ces affiliés que Joséphine Balsamo employait un peu partout, et de supposer également que leur grotte comptait parmi ces refuges, auberges, hangars, fours à chaux, etc., dont Joséphine Balsamo avait jalonné le pays.

Présomptions qu’il fallait changer en certitudes, et sans éveiller l’attention. Il chercha donc à tourner la position de l’ennemi, et, montant sur la falaise, s’en revint vers la Seine par un chemin forestier qui aboutissait à une légère dépression. Là, il se laissa glisser, au milieu des fourrés et des ronces, jusqu’au bas de la dépression, à un endroit qui surplombait la grotte de quatre ou cinq mètres.

Il y passa deux jours et deux nuits, se nourrissant de provisions qu’il avait apportées, et dormant à la belle étoile. Invisible parmi la végétation touffue des hautes herbes, il assistait à la vie des trois hommes. Le deuxième jour, une conversation entendue le renseigna : les Corbut avaient bien la garde de la veuve