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Une ou deux minutes s’écoulèrent. Beaumagnan s’épongeait la figure. Il avala un verre d’eau, et, se rendant compte que l’ennemi, si mince qu’il fût, n’était pas de ceux dont on se débarrasse en un tournemain, il reprit :

— Nous nous égarons, monsieur. Vos sentiments personnels pour la comtesse de Cagliostro n’ont rien à voir avec ce qui nous occupe aujourd’hui. Je reviens donc à ma première question : que venez-vous faire ici ?

— Rien que de très simple, répondit Raoul, et une brève explication suffira. À l’égard des richesses religieuses du Moyen Age, richesses que, personnellement, vous voulez faire entrer dans les caisses de la Société de Jésus — voici où nous en sommes. Ces offrandes, canalisées à travers toutes les provinces, étaient envoyées aux sept principales abbayes de Caux et constituaient une masse commune gérée par ce qu’on pourrait appeler sept administrateurs délégués, dont un seul connaissait l’emplacement du coffre-fort et le chiffre de la serrure. Chaque abbaye possédait une bague épiscopale ou pastorale qu’elle transmettait, de génération en génération, à son propre délégué. Comme symbole de sa mission, le comité des sept était représenté par un chandelier à sept branches, dont chaque branche portait, souvenir de la liturgie hébraïque et du temple de Moïse, une pierre de la même couleur et de la même matière que la bague à laquelle elle correspondait. Ainsi la branche que j’ai trouvée à Gueures porte une pierre rouge, un faux grenat, qui était la pierre représentative de telle abbaye, et d’autre part nous savons que le frère Nicolas, dernier administrateur en chef des monastères cauchois, était un moine de l’abbaye de Fécamp. Nous sommes d’accord ?

— Oui.

— Donc, il suffit de connaître le nom des sept abbayes pour connaître sept emplacements où des recherches aient des chances d’aboutir. Or, sept noms sont inscrits à l’intérieur des sept anneaux que Brigitte Rousselin vous a cédés hier soir au théâtre. Ce sont ces sept anneaux que je vous demande d’examiner.

— C’est-à-dire, scanda Beaumagnan, que nous avons cherché pendant des années et des années, et que vous, du premier coup, vous prétendez parvenir au même but que nous ?

— C’est exactement cela.

— Et si je refuse ?

— Pardon, refusez-vous ? Je ne répondrai qu’à une réponse formelle.

— Évidemment, je refuse. Votre demande est absolument insensée, et, de la façon la plus catégorique, je refuse.

— Alors je vous dénonce.

Beaumagnan parut abasourdi. Il observa Raoul comme s’il eût affaire à un fou.

— Vous me dénoncez… Qu’est-ce que c’est que cette nouvelle histoire ?

— Je vous dénonce tous les trois.

— Tous les trois ? ricana-t-il. Mais à quel propos, mon petit monsieur ?

— Je vous dénonce tous les trois comme les assassins de Joséphine Balsamo, comtesse de Cagliostro.

Il n’y eut pas la moindre protestation. Pas un geste de révolte. Godefroy d’Étigues et son cousin Bennetot s’effondrèrent un peu plus sur leurs chaises. Beaumagnan était livide et son ricanement s’achevait en une grimace affreuse.

Il se leva, donna un tour de clef à la serrure et mit la clef dans sa poche, ce qui eut pour effet de rendre quelque ressort à ses deux acolytes. Le coup de force que semblait annoncer l’acte de leur chef les ranimait.

Raoul eut l’audace de plaisanter :

— Monsieur, dit-il, quand un conscrit arrive au régiment, on le plante à cheval sans étriers, jusqu’à ce qu’il tienne d’aplomb.

— Ce qui signifie ?…

— Ceci : je me suis juré de ne jamais porter de revolver sur moi, jusqu’au jour où je saurais faire face à toutes les situations avec le seul secours de mon cerveau. Donc, vous êtes avertis : je n’ai pas d’étriers… ou plutôt, je n’ai pas de revolver. Vous êtes trois, tous trois armés, et je suis seul. Donc…

— Donc, assez de mots, déclara Beaumagnan, d’une voix menaçante. Des faits.