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— Je vais lui écrire, décida Brigitte Rousselin.

Elle retourna dans son boudoir et, un instant après, remettait une enveloppe à la servante.

— Tu le connais, ce secrétaire ? Tu l’as vu au théâtre ?

— Ma foi non, c’est un nouveau.

— Qu’il dise bien au directeur que je suis au regret, et que je lui expliquerai la chose ce soir à lui-même.

Valentine repartit. De nouveau, il se passa un temps assez long. Brigitte s’était mise au piano et faisait des exercices de chant, qui couvrirent sans doute le bruit de la porte principale, car Raoul ne l’entendit point.

Il éprouvait, de son côté, une certaine gêne, troublé par l’incident qui ne lui semblait pas très clair. Ce secrétaire qu’on ne connaissait pas, cette demande de bijoux, tout cela sentait le piège et la combinaison louche.

Cependant il se rassura. Une ombre avait franchi la portière, se dirigeant vers le boudoir.

— Valentine qui remonte, se dit Raoul. Mon impression était fausse. L’homme a filé.

Mais tout à coup, au milieu d’une ritournelle, le piano s’arrêta net, le tabouret sur lequel la chanteuse était assise fut repoussé brusquement et tomba, et elle articula avec une certaine inquiétude :

— Qui êtes-vous ?… Ah ! le secrétaire, n’est-ce pas ? Le nouveau secrétaire… Mais que voulez-vous donc, monsieur ?…

M. le directeur, fit la voix de l’homme, m’a ordonné de rapporter les bijoux. Il faut donc que j’insiste…

— Mais je lui ai répondu… balbutia Brigitte de plus en plus anxieuse… La femme de chambre a dû vous remettre la lettre… Pourquoi n’est-elle pas remontée avec vous ? Valentine !

Elle appela plusieurs fois, d’un ton de détresse.

— Valentine !… Ah ! vous me faites peur, monsieur… Vos yeux…

La porte fut fermée brutalement. Raoul perçut un bruit de chaises, le fracas d’une lutte, puis un grand cri :

— Au secours !

Ce fut tout. D’ailleurs, à la seconde précise où il avait eu l’intuition du danger que courait Brigitte Rousselin, il s’était efforcé de soulever la trappe un peu plus et de se frayer un passage. Il lui fallut pour cela perdre un temps précieux. Après quoi il se laissa tomber, dégringola le second étage et se trouva en face de trois portes closes.

Au hasard, il se rua sur l’une d’elles, et pénétra dans une pièce où il y avait le plus grand désordre. N’y voyant personne, il courut à travers la pièce jusqu’au cabinet de toilette, puis jusqu’à la chambre où il pensait bien que la lutte s’était poursuivie.

Aussitôt, en effet, il avisa dans la demi-obscurité, car les rideaux de la fenêtre étaient presque fermés, un homme à genoux, et, gisant sur le tapis, une femme que cet homme tenait à la gorge des deux mains. Des râles de douleur se mêlaient à d’abominables jurons.

— Dieu de Dieu, te tairas-tu. Ah ! cré bon sang, tu refuses les bijoux. Eh bien ma petite…

L’attaque de Raoul qui se jeta sur lui avec une violence irrésistible, lui fit lâcher prise. Tous deux ils roulèrent contre la cheminée, où Raoul se heurta le front assez fort pour en éprouver quelques secondes de défaillance.

L’assassin du reste était plus lourd que lui, et le duel ne pouvait pas être long entre ce mince adolescent et cet homme, que l’on devinait massif et de musculature puissante. De fait, au bout d’un instant, l’un des deux se dégagea, tandis que l’autre demeurait étendu et poussait de faibles soupirs. Mais celui qui se relevait n’était autre que Raoul.

— Un joli coup, hein, monsieur ? ricana-t-il. Il me vient des instructions posthumes d’un sieur Théophraste Lupin, chapitre des méthodes japonaises. Ça vous expédie durant une bonne minute dans un monde meilleur et rend inoffensif comme un petit mouton.

Il se pencha sur la jeune actrice, et, l’ayant saisie dans ses bras, la coucha sur le lit. Il vit tout de suite que l’effroyable étreinte du meurtrier n’avait pas eu les conséquences que l’on pouvait craindre. Brigitte Rousselin respirait à son aise. Aucune blessure n’était visible. Mais elle tremblait de tous ses membres et regardait avec des yeux de folle.

— Vous ne souffrez pas, mademoiselle ? fit-il doucement. Non, n’est-ce pas ? Ce ne sera rien. Et surtout n’ayez pas peur. Vous n’avez plus rien à redouter de lui et, pour plus de sûreté…

Vivement, il écarta les rideaux, arracha les cordons de tirage et lia les poignets inertes de l’homme. Mais, un peu de jour ayant pénétré dans la pièce, il tourna l’assassin vers la fenêtre afin d’examiner son visage.

Un cri lui échappa. Il était confondu. Et il murmura avec stupeur :

— Léonard… Léonard…