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— Plus rien à faire ici, dit-il en rejoignant la comtesse, ils ont filé.

À ce moment, le rideau se relevait. La commère parut de nouveau sur la scène. Sa coiffure plus dégagée permit de mieux voir le bandeau qu’elle portait au front depuis le début. C’était un ruban de tissu d’or où de gros cabochons, tous différents de couleur, se trouvaient fixés. Il y en avait sept.

— Sept ! pensa Raoul. Voilà qui explique la venue de Beaumagnan.

Tandis que Joséphine Balsamo s’apprêtait, il apprit par une ouvreuse que la commère de la revue, Brigitte Rousselin, habitait une ancienne maison de Montmartre, d’où chaque jour, avec une vieille femme de chambre très dévouée, du nom de Valentine, elle descendait pour assister aux répétitions de la prochaine pièce.

Le lendemain matin, à 11 heures, Raoul émergeait de la Nonchalante. Il déjeunait dans un restaurant de Montmartre et, à midi, enfilant une rue escarpée et tortueuse, il passait devant une petite maison étroite, précédée d’une cour que clôturait un mur, et appuyée à un immeuble de rapport dont le dernier étage — les fenêtres sans rideaux suffisaient à l’indiquer — n’avait pas de locataire.

Raoul bâtit aussitôt, avec son habituelle rapidité de conception, un de ces plans qu’il exécutait ensuite presque mécaniquement.

Il flâna de long en large, comme un homme qui a un rendez-vous. Soudain, voyant que la concierge de l’immeuble balayait le trottoir, il se glissa derrière cette femme, grimpa les étages, fractura la porte de l’appartement vide, ouvrit sur le côté une des fenêtres qui dominait le toit de la maison voisine, s’assura que personne ne pouvait l’apercevoir, et sauta.

Tout près, une lucarne bâillait. Il se laissa tomber dans un grenier encombré d’objets hors d’usage, et d’où l’on ne descendait que par une trappe, qui fonctionnait mal et qu’il put tout juste soulever pour passer la tête. De là il dominait le palier du second étage et, en partie, la cage de l’escalier. Il n’y avait pas d’échelle.

Au-dessous, c’est-à-dire au premier étage, deux voix de femmes échangeaient des paroles. Se penchant le plus possible, Raoul écouta, et se rendit compte, d’après certains propos que la jeune commère de revue était en train de déjeuner dans son boudoir, et que sa compagne, seule domestique de la maison, rangeait, tout en la servant, la chambre et le cabinet de toilette.

— Fini, s’écria Brigitte Rousselin, en regagnant sa chambre. Ah ! ma bonne Valentine, quelle joie ! Pas de répétition aujourd’hui ! Je me recouche jusqu’au moment de sortir…

Cette journée de repos gênait un peu les calculs de Raoul, qui espérait, en l’absence de Brigitte Rousselin, effectuer tranquillement une visite domiciliaire. Il patienta néanmoins, comptant sur le hasard.

Quelques minutes s’écoulèrent. Brigitte fredonnait des airs de la revue lorsqu’un coup de timbre retentit dans la cour.

— Bizarre, dit-elle. Je n’attends pourtant personne aujourd’hui. Cours donc voir, Valentine.

La servante descendit. On perçut le claquement de la porte refermée, et elle remonta en disant :

— C’est du théâtre… un secrétaire du directeur qui apporte cette lettre. Donne. Tu as fait entrer dans le salon ?

— Oui.

Raoul apercevait au premier étage la jupe de la jeune actrice. La servante tendit l’enveloppe qui fut aussitôt déchirée, et Brigitte lut à demi-voix :

« Ma petite Rousselin, confiez donc à mon secrétaire le bandeau de pierres que vous mettez sur le front. J’en ai besoin pour en faire prendre le modèle. C’est urgent. Vous le retrouverez ce soir au théâtre. »

En entendant ces quelques phrases, Raoul avait tressailli :

— Tiens ! tiens ! pensait-il, le bandeau de pierres ! les sept cabochons. Est-ce que le directeur est aussi sur la piste ? Et Brigitte Rousselin va-t-elle obéir ?

Il fut rassuré. La jeune femme murmurait :

— Pas possible. J’ai promis déjà ces pierres.

— C’est ennuyeux, objecta la servante, le directeur ne sera pas content.

— Que veux-tu ? J’ai promis, et l’on doit me les payer fort cher.

— Alors que répondre ?