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empocha trois elzévirs, tandis que la comtesse, à l’insu de Raoul, faisait main basse sur les médailles d’une vitrine.

Ils redescendirent l’escalier. Dans le tumulte de la foule, personne ne remarqua leur départ.

À trois cents mètres de distance la voiture attendait.

Dès lors, à Pontoise, à Saint-Germain, à Paris, où la Nonchalante, amarrée en face même de la préfecture de police, continuait à leur servir de logis, ils « opérèrent » ensemble.

Si le caractère renfermé et l’âme énigmatique de la Cagliostro ne se démentaient pas dans l’accomplissement de ces besognes, la nature primesautière de Raoul reprenait peu à peu le dessus, et chaque fois l’opération finissait en éclats de rire.

— Tant qu’à faire, disait-il, puisque j’ai tourné le dos au sentier de la vertu, prenons les choses allégrement, et non pas sur le mode funèbre… comme toi, ma Josine.

À chaque épreuve, il se découvrait des talents imprévus et des ressources qu’il ignorait. Parfois, dans un magasin, aux courses, au théâtre, sa compagne entendait un petit claquement de langue joyeux, et elle voyait alors aux mains de son amant une montre, à sa cravate une épingle nouvelle. Et toujours le même sang-froid, toujours la sérénité de l’innocent que nul danger ne menace.

Ce qui ne l’empêchait pas d’obéir aux multiples précautions exigées par Joséphine Balsamo. Ils ne sortaient de la péniche qu’habillés en gens du peuple. Dans une rue proche, la vieille berline, attelée d’un seul cheval, les recueillait. Ils y changeaient de vêtements. La Cagliostro ne quittait jamais une dentelle à larges fleurs brodées qui lui servait de voilette.

Tous ces détails, et combien d’autres ! renseignaient Raoul sur la vie réelle de sa maîtresse. Il ne doutait pas maintenant qu’elle ne fût à la tête d’une bande organisée de complices avec qui elle correspondait par l’intermédiaire de Léonard, et il ne doutait pas non plus qu’elle ne poursuivit l’affaire du chandelier aux sept branches, et qu’elle ne surveillât les manœuvres de Beaumagnan et de ses amis.

Existence double, qui, très souvent, indisposait Raoul contre Joséphine Balsamo, ainsi qu’elle-même l’avait prévu. Oubliant ses propres actes, il lui en voulait d’en accomplir qui n’étaient pas conformes aux idées qu’il gardait, malgré tout, sur l’honnêteté. Une maîtresse voleuse et chef de bande, cela l’offusquait. Il y eut des chocs entre eux, à propos de questions insignifiantes. Leurs deux personnalités, si fortes et si marquées, se heurtaient.

Aussi, lorsqu’un incident les jeta tout à coup en pleine bataille, bien que dressés contre des ennemis communs, ils apprirent tout ce qu’un amour comme le leur, peut, à certaines minutes, contenir de rancune, d’orgueil et d’hostilité.

Cet incident, qui mit fin à ce que Raoul appelait les délices de Capoue, ce fut la rencontre inopinée qu’ils firent un soir de Beaumagnan, du baron d’Étigues et de Bennetot. Les trois amis entraient au théâtre des Variétés.

— Suivons-les, dit Raoul.

La comtesse hésitait. Il insista.

— Comment ! une pareille occasion s’offre à nous, et nous n’en profiterions pas !

Ils entrèrent tous deux et s’installèrent dans une baignoire obscure. À ce moment, au fond d’une autre baignoire située près de la scène, ils eurent le temps d’apercevoir, avant que l’ouvreuse relevât le grillage, la silhouette de Beaumagnan et de ses deux acolytes.

Un problème s’offrait. Pourquoi Beaumagnan, homme d’église et d’habitudes en apparence rigides, se fourvoyait-il dans un théâtre des boulevards, où précisément, on jouait une revue très décolletée et sans le moindre intérêt pour lui ?

Raoul posa la question à Joséphine Balsamo qui ne répondit point, et cette indifférence affectée montra bien à Raoul que la jeune femme se séparait de lui en l’occurrence, et qu’elle ne voulait décidément pas de sa collaboration pour tout ce qui concernait l’inexplicable affaire.

— Soit, lui dit-il, d’un ton net, où il y avait du défi ; soit, chacun de son côté et chacun pour soi. On verra qui s’adjugera le gros lot.

Sur la scène, des théories de femmes levaient la jambe en cadence, tandis que défilaient les actualités. La commère, une belle fille peu habillée, qui représentait « La Cascadeuse » justifiait son sobriquet par des cascades de faux bijoux, qui ruisselaient tout autour d’elle. Un bandeau de pierres multicolores lui ceignait le front. Des lampes électriques s’allumaient dans ses cheveux.

Deux actes furent joués. La baignoire d’avant-scène gardait son treillage hermétiquement clos, sans qu’on pût même deviner la présence des trois amis. Mais, au dernier entracte, Raoul, se promenant du côté de cette baignoire, constata que la porte en était légèrement entrouverte. Il regarda. Personne. S’étant informé, il apprit que les trois messieurs avaient quitté le théâtre au bout d’une demi-heure !