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Il demeura silencieux. Une grande lassitude l’envahissait. Il voyait tout à coup l’existence sous un jour de brume et de détresse où plus rien n’avait de couleur plus rien de beauté ni de grâce. Il avait envie de pleurer.

— Pour la dernière fois, Raoul, adieu, dit-elle.

— Non… non… balbutia-t-il.

— Il le faut, mon petit. Je ne te ferais que du mal. Ne cherche pas à mêler ta vie à la mienne. Tu as de l’ambition, de l’énergie, et de telles qualités que tu peux choisir ta route.

Elle dit plus bas :

— Celle que je suis n’est pas la bonne, Raoul.

— Pourquoi la suivez-vous donc, Josine ? Voilà justement ce qui m’effraie.

— Il est trop tard.

— Pour moi aussi, alors !

— Non, tu es jeune. Sauve-toi. Échappe au destin qui te menace.

— Mais vous, vous, Josine ?…

— Moi, c’est ma vie.

— Vie affreuse, dont vous souffrez.

— Si tu le crois, pourquoi veux-tu la partager ?

— Parce que je vous aime.

— Raison de plus pour me fuir, mon petit. Tout amour est condamné d’avance entre nous. Tu rougirais de moi, et je me défierais de toi.

— Je vous aime.

— Aujourd’hui. Mais demain ? Raoul, obéis à l’ordre que je t’ai donné sur ma photographie, dès la première nuit de notre rencontre : « Ne cherchez pas à me revoir. » Va-t’en.

— Oui, oui, dit Raoul d’Andrésy, d’une voix lente. Vous avez raison. Mais c’est terrible de penser que tout sera fini entre nous avant même que j’aie eu le temps d’espérer… et que vous ne vous souviendrez pas de moi.

— On n’oublie pas celui qui vous a sauvé deux fois.

— Non, mais vous oublierez que je vous aime.

Elle hocha la tête.

— Je ne l’oublierai pas, dit-elle.

Et, cessant de le tutoyer, elle ajouta avec émotion :

— Votre enthousiasme, votre élan… tout ce qu’il y a en vous de sincère et de spontané… et d’autres choses que je ne démêle pas encore… tout cela me touche infiniment.

Ils gardaient leurs deux mains l’une dans l’autre, et leurs yeux ne se quittaient pas. Raoul frémissait de tendresse. Elle lui dit doucement :

— Quand on se sépare pour toujours, on doit se rendre ce que l’on s’est donné. Rendez-moi mon portrait Raoul ?

— Non, non, jamais, fit-il.

— Alors, moi, dit-elle avec un sourire qui le grisa, je serai plus honnête et je vous rendrai loyalement ce que vous m’avez donné.

— Quelle chose, Josine ?

— La première nuit… dans la grange… tandis que je dormais, Raoul, vous vous êtes penché sur moi et j’ai senti vos lèvres sur les miennes.

De ses mains croisées derrière le cou de Raoul, elle attirait la tête du jeune homme, et leurs bouches s’unirent.

— Ah ! Josine, dit-il éperdu… faites de moi ce que vous voulez, je vous aime… je vous aime…

Ils marchèrent du côté de la Seine. Les roseaux se balançaient au-dessus d’eux. Leurs vêtements froissaient les longues feuilles minces que la bise agitait. Ils allaient vers le bonheur, sans autres pensées que celles qui font tressaillir les amants dont les mains se croisent.

— Un mot encore, Raoul, lui dit-elle en l’arrêtant. Un mot. Je sens qu’avec vous je serai violente, exclusive. Il n’y a pas d’autre femme dans votre vie ?

— Aucune.

— Ah ! dit-elle, amèrement, un mensonge déjà !

— Un mensonge ?

— Et Clarisse d’Étigues ? Oui, vous aviez des rendez-vous dans la campagne. On vous a vus.

Il s’irrita.

— Vieille histoire… un flirt sans importance.

— Vous le jurez ?

— Je le jure.

— Tant mieux, dit-elle d’une voix sombre. Tant mieux pour elle. Et que jamais elle ne glisse entre nous ! Sans quoi…

Il l’entraîna.

— Je n’aime que vous, Josine, je n’ai jamais aimé que vous. Ma vie commence aujourd’hui.