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Il était dix heures. Sur le perron, les entrepreneurs reçurent les cinq associés. Raoul entra sans être remarqué, se mêla aux ouvriers, et les interrogea. Il apprit ainsi que le château de Gueures venait d’être acheté par le marquis de Rolleville et que les travaux d’aménagement avaient commencé le matin.

Raoul entendit un des entrepreneurs qui répondait au baron :

— Oui, monsieur, les instructions sont données. Ceux de mes hommes qui trouveront, en fouillant le sol, des pièces de monnaie, des objets de métal, fer, cuivre, etc. ont ordre de les apporter contre récompense.

Il était évident que tous ces bouleversements n’avaient point d’autre raison que la découverte de quelque chose. Mais la découverte de quoi ? se demandait Raoul.

Il se promena dans le parc, fit le tour du manoir, pénétra dans les caves.

À onze heures et demie, il n’avait encore abouti à aucun résultat, et la nécessité d’agir s’imposait cependant à son esprit avec une force croissante. Tout retard laissait aux autres des chances d’autant plus grandes, et il risquait de se heurter à un fait accompli.

À ce moment, le groupe des cinq amis se tenait derrière le manoir, sur une longue esplanade qui dominait le parc. Un petit mur à balustrade la bordait, marqué de place en place par douze piliers de briques qui servaient de socles à d’anciens vases de pierre, presque tous cassés.

Une équipe d’ouvriers armés de pics, se mit à démolir le mur. Raoul les regardait faire, pensivement, les mains dans ses poches, la cigarette aux lèvres, et sans se soucier que sa présence pût paraître anormale en ces lieux.

Godefroy d’Étigues roulait du tabac dans une feuille de papier. N’ayant pas d’allumettes, il s’approcha de Raoul et lui demanda du feu.

Raoul tendit sa cigarette, et, pendant que l’autre allumait la sienne, tout un plan s’échafauda en son esprit, un plan spontané, très simple, dont les moindres détails lui apparaissaient dans leur succession logique. Mais il fallait se hâter.

Raoul ôta son béret ce qui laissa échapper les mèches d’une chevelure soignée qui n’était certes pas celle d’un matelot.

Le baron d’Étigues le regarda avec attention et, subitement éclairé, fut saisi de colère.

— Encore vous ! Et déguisé ! Qu’est-ce que c’est que cette nouvelle manigance, et comment avez-vous l’audace de me relancer jusqu’ici ? Je vous ai répondu de la façon la plus catégorique, un mariage entre ma fille et vous est impossible.

Raoul lui happa le bras et, impérieusement :

— Pas de scandale ! Nous y perdrions tous les deux. Amenez-moi vos amis.

Godefroy voulut se rebiffer.

— Amenez-moi vos amis, répéta Raoul. Je viens vous rendre service. Que cherchez-vous ? Un chandelier, n’est-ce pas ?

— Oui, fit le baron, malgré lui.

— Un chandelier à sept branches, c’est bien cela. Je connais la cachette. Plus tard je vous donnerai d’autres indications qui vous seront utiles pour l’œuvre que vous poursuivez. Alors nous parlerons de mademoiselle d’Étigues. Qu’il ne soit pas question d’elle aujourd’hui… Appelez vos amis. Vite.

Godefroy hésitait, mais les promesses et les assurances de Raoul faisaient impression sur lui. Il appela ses amis qui le rejoignirent aussitôt.

— Je connais ce garçon, dit-il, et, d’après lui, on arriverait peut-être à trouver…

Raoul lui coupa la parole.

— Il n’y a pas de peut-être, monsieur. Je suis du pays. Tout gamin, je jouais dans ce château avec les enfants d’un vieux jardinier qui en était le gardien, et qui souvent nous a montré un anneau scellé au mur d’une des caves. « Il y a une cachette, là, disait-il, j’y ai vu mettre des antiquailles, flambeaux, pendules… »

Ces révélations surexcitèrent les amis de Godefroy.

Bennetot objecta rapidement :

— Les caves ? Nous les avons visitées.

— Pas bien, affirma Raoul. Je vais vous conduire.

On y arrivait par un escalier qui descendait de l’extérieur au sous-sol. Deux grandes portes ouvraient sur quelques marches, après lesquelles commençait une série de salles voûtées.

— La troisième à gauche, dit Raoul qui, au cours de ses recherches, avait étudié l’emplacement. Tenez… celle-ci…

Il les fit entrer tous les cinq dans un caveau obscur où il fallait se baisser.

— On n’y voit goutte, se plaignit Roux d’Estiers.

— En effet, dit Raoul. Mais voilà des allumettes et j’ai aperçu un bout de bougie sur les marches de l’escalier. Un instant… J’y cours.

Il referma la porte du caveau, fit tourner la clef, l’enleva, et s’éloigna en criant aux captifs :

— Allumez toujours les sept branches du chandelier. Vous le trouverez sous la dernière dalle, enveloppé soigneusement dans des toiles d’araignée…

Il n’était pas dehors qu’il entendit le bruit des coups que les cinq amis frappaient furieusement contre la porte, et il pensa que cette porte, branlante et vermoulue, ne résisterait guère plus que quelques minutes. Mais ce répit lui suffisait.