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Elle rit franchement, et son rire sonnait avec clarté.

— Ne prenez pas cet air confondu, dit-elle. D’abord je connaissais l’existence de ce double portrait, et je le cherchais depuis longtemps. Mais soyez certain qu’il n’y a là aucun miracle. Je n’essaierai pas de vous persuader que j’ai servi de modèle au peintre et que j’ai quatre cents ans. Non, ceci est tout simplement le visage de la Vierge Marie, et c’est une copie d’un fragment de la Sainte Famille de Bernardino Luini, peintre milanais, disciple de Léonard de Vinci.

Puis, soudain sérieuse, et sans laisser à l’adversaire le temps de souffler, elle lui dit :

— Vous comprenez maintenant où je veux en venir, n’est-ce pas, Beaumagnan ? Entre la Vierge de Luini, la jeune fille de Moscou et moi, il y a cette chose insaisissable, merveilleuse, et pourtant indéniable, la ressemblance absolue. Trois visages en un seul. Trois visages qui ne sont pas ceux de trois femmes différentes, mais qui sont celui de la même femme. Alors pourquoi ne voulez-vous pas admettre qu’un même phénomène, tout naturel après tout, se reproduise en d’autres circonstances, et que la femme que vous avez vue dans votre chambre ne soit pas moi, mais une autre femme qui me ressemble assez pour vous faire illusion ?… une autre qui aurait connu et qui aurait tué vos amis Saint-Hébert et d’Isneauval ?

— J’ai vu… j’ai vu…, protesta Beaumagnan, qui la touchait presque, debout contre elle tout pâle et frémissant d’indignation. J’ai vu. Mes yeux ont vu.

— Vos yeux voient aussi le portrait d’il y a vingt-cinq ans, et la miniature d’il y a quatre-vingts ans, et le tableau, d’il y a quatre cents ans. C’était donc moi ?

Elle offrait aux regards de Beaumagnan sa jeune figure, sa beauté fraîche, ses dents éclatantes, ses joues tendres et pleines comme un fruit. Défaillant, il s’écria :

— Ah ! sorcière, il y a des moments où j’y crois, à cette absurdité. Sait-on jamais avec toi ! Tiens, la femme de la miniature montre tout en bas de son épaule nue, sous la peau blanche de la poitrine, un signe noir. Ce signe, il est là au bas de ton épaule… Je l’y ai vu… Tiens… montre-le donc aux autres pour qu’ils le voient aussi, pour qu’ils soient édifiés.

Il était livide et la sueur coulait de son front. Il porta la main vers le corsage clos. Mais elle le repoussa et, s’exprimant avec beaucoup de dignité :

— Assez, Beaumagnan, vous ne savez pas ce que vous faites, et vous ne le savez plus depuis des mois. Je vous écoutais tout à l’heure et j’étais interdite, car vous parliez de moi comme si j’avais été votre maîtresse, et je n’ai pas été votre maîtresse. C’est une noble chose que de se frapper la poitrine en public, mais encore faut-il que la confession soit sincère. Vous n’en avez pas eu le courage. Le démon de l’orgueil ne vous a pas permis l’aveu humiliant de votre échec, et lâchement vous avez laissé croire ce qui n’a pas été. Durant des mois vous vous êtes traîné à mes pieds, vous m’avez implorée et menacée, sans que jamais, une seule fois, vos lèvres aient effleuré mes mains. Voilà tout le secret de votre conduite et de votre haine.

» Ne pouvant me fléchir, vous avez voulu me perdre, et, devant vos amis, vous dressez de moi une image effrayante de criminelle, d’espionne et de sorcière. Oui, de sorcière ! Un homme comme vous ne peut pas faillir, selon votre expression, et si vous avez failli ce ne peut être que par l’action de sortilèges diaboliques. Non, Beaumagnan, vous ne savez plus ce que vous faites, ni ce que vous dites. Vous m’avez vue dans votre chambre, préparant la poudre qui devait vous empoisonner ? Allons donc ! De quel droit invoquez-vous le témoignage de vos yeux ? Vos yeux ? Mais ils étaient obsédés par mon image, et l’autre femme vous offrit un visage qui n’était pas le sien, mais le mien, que vous ne pouviez pas ne pas voir.

» Oui, Beaumagnan, je le répète, l’autre femme… Il y a une autre femme sur le chemin que nous suivons tous. Il y a une autre femme qui a hérité de certains documents issus de Cagliostro et qui se pare, elle aussi, des noms qu’il prenait. Marquise de Belmonte, comtesse de Fenix… cherchez-la, Beaumagnan. Car c’est elle que vous avez vue, et c’est en vérité sur la plus grossière hallucination d’un cerveau détraqué que vous échafaudez contre moi tant d’accusations mensongères.

» Allons, tout cela n’est qu’une comédie puérile, et j’avais bien raison de rester paisible au milieu de vous tous, comme une femme innocente, d’abord, et comme une femme qui ne risque rien. Avec vos façons de juges et de tortionnaires, et malgré l’intérêt que chacun de vous peut avoir dans la réussite de l’entreprise commune, vous êtes au fond des braves gens qui n’oseriez jamais me faire mourir. Vous, peut-être, Beaumagnan, qui êtes un fanatique et qui avez peur de moi, mais il vous faudrait ici des bourreaux capables de vous obéir, et il n’y en a pas. Alors quoi… m’enfermer ? me jeter dans quelque coin obscur ? Si cela vous amuse, soit ! Mais, sachez-le, il n’y a pas de cachot d’où je ne puisse sortir aussi aisément que vous de cette salle. Ainsi, jugez, condamnez. Pour ma part, je ne dirai plus un mot. »