Page:Leblanc - La Comtesse de Cagliostro, paru dans Le Journal, 1923-1924.djvu/104

Cette page a été validée par deux contributeurs.

Il gardait ses ciseaux à la main, la pointe en avant, et il se demandait si son devoir n’était pas d’abîmer cette beauté trop parfaite, de taillader en pleine chair, et de mettre ainsi la sirène dans l’impossibilité de nuire. Une balafre en croix profonde, au travers du visage, et dont la cicatrice indélébile soulèverait la peau boursouflée, quel équitable châtiment et quelle utile précaution ! Que de malheurs évités et de crimes prévenus !

Il n’en eut pas le courage et ne voulut pas s’en arroger le droit. Et puis il l’avait trop aimée…

Il resta longtemps à la considérer, sans faire un mouvement, et avec une tristesse infinie. La lutte l’avait épuisé. Il se sentait plein d’amertume et de dégoût. Elle était son premier grand amour, et ce sentiment, où le cœur ingénu apporte tant de fraîcheur et dont il garde un souvenir si doux, ne lui laisserait, à lui, que rancune et que haine. Toute sa vie, il aurait aux lèvres un pli de désenchantement et dans l’âme une impression de flétrissure.

Elle respira plus fort et souleva ses paupières.

Alors il éprouva le besoin irrésistible de ne plus la voir et de ne plus même penser à elle.

Ouvrant la fenêtre, il écouta. Des pas, lui sembla-t-il, arrivaient de la falaise. Léonard avait dû constater, en atteignant le rivage, que l’expédition se réduisait à la capture d’un mannequin, et, sans doute, inquiet de Joséphine Balsamo, venait-il à son secours.

— Qu’il la trouve ici, qu’il l’emporte ! se dit-il. Qu’elle meure ou qu’elle vive ! Qu’elle soit heureuse ou malheureuse ! Je m’en moque !… Je ne veux plus rien savoir d’elle. Assez ! Assez de cet enfer !

Et, sans une parole, sans un regard à la femme qui lui tendait les bras et le suppliait, il partit…

Le lendemain matin, Raoul se faisait annoncer chez Clarisse d’Étigues.

Pour ne pas toucher trop tôt à des blessures qu’il devinait si sensibles, il n’avait pas revu la jeune fille. Mais elle savait qu’il était là, et, tout de suite, il comprit que le temps accomplissait déjà son œuvre. Les joues étaient plus roses. Les yeux brillaient d’espoir.

— Clarisse, lui dit-il, dès le premier jour vous avez promis de tout me pardonner…

— Je n’ai rien à vous pardonner, Raoul, affirma la jeune fille, qui pensait à son père.

— Si, Clarisse, je vous ai fait beaucoup de mal. Je m’en suis fait beaucoup à moi aussi, et ce n’est pas seulement votre amour que je demande, ce sont vos soins et votre protection. J’ai besoin de vous, Clarisse, pour oublier d’affreux souvenirs, pour reprendre confiance dans la vie, et pour combattre d’assez vilaines choses qui sont en moi et qui m’entraînent… où je ne voudrais pas aller. Si vous m’aidez, je suis sûr d’être un honnête homme, je m’y engage sincèrement, et je vous promets que vous serez heureuse. Voulez-vous être ma femme, Clarisse ?

Elle lui tendit la main.



épilogue


Comme le supposait bien Raoul, tout le vaste système d’intrigues tendu pour la capture du trésor fabuleux, resta dans l’ombre. Le suicide de Beaumagnan, les aventures de la Pellegrini, la personnalité mystérieuse de la comtesse de Cagliostro, sa fuite, le naufrage du Ver-Luisant, autant de faits divers que la justice ne put pas ou ne voulut pas relier les uns aux autres. Le mémoire du cardinal-archevêque fut détruit ou disparut. Les associés de Beaumagnan se désunirent et ne parlèrent pas. On ne sut rien.

À plus forte raison, le rôle de Raoul, dans toute cette affaire, ne pouvait être soupçonné et son mariage passa inaperçu. Par quel prodige réussit-il à se marier sous le nom de vicomte d’Andrésy ? Sans doute doit-on attribuer ce tour de force aux moyens d’action formidables que lui donnaient les deux poignées de pierres précieuses prélevées sur le trésor. Avec cela… on achète bien des complicités.

Et c’est de même ainsi évidemment que le nom de Lupin se trouva un jour escamoté. Sur aucun registre d’état civil, sur aucune pièce authentique, il ne fut plus question d’Arsène Lupin, ni de son père Théophraste Lupin. Légalement, il n’y eut plus que le vicomte Raoul d’Andrésy, lequel vicomte partit en voyage à travers l’Europe avec la vicomtesse, née Clarisse d’Étigues.

Deux événements marquèrent cette époque. Clarisse mit au monde une fille qui ne vécut point. Et, quelques semaines plus tard, elle apprenait la mort de son père.

Godefroy d’Étigues, en effet, et son cousin Bennetot périrent au cours d’une promenade en barque. Accident ? Suicide ? Les deux cousins, dans les derniers temps