Page:Leblanc - La Comtesse de Cagliostro, paru dans Le Journal, 1923-1924.djvu/101

Cette page a été validée par deux contributeurs.

niche… nous avons eu peur l’un de l’autre comme si nous cherchions à nous étrangler. Il en est de même aujourd’hui. Si je retombe dans tes bras, je suis perdu. Demain, après-demain, c’est la mort…

Elle se redressa, tout de suite hostile et méchante. L’orgueil l’envahissait de nouveau, et la tempête s’éleva brusquement entre eux, les faisant passer sans transition de l’espèce de torpeur où les attardait le souvenir de l’amour à un âpre besoin de haine et de provocation.

— Mais oui, reprit Raoul, au fond, dès le premier jour, nous avons été des ennemis féroces. L’un et l’autre, nous ne pensions qu’à la défaite de l’autre. Toi surtout ! J’étais le rival, l’intrus… Dans ton cerveau, mon image se mêlait à l’idée de la mort. Volontairement ou non, tu m’avais condamné.

Elle secoua la tête, et d’un ton agressif :

— Jusqu’ici, non.

— Mais maintenant, oui, n’est-ce pas ? Seulement, s’écria-t-il, un fait nouveau se présente. C’est que, maintenant, je me moque de toi, Joséphine. L’élève est devenu le maître, et c’est cela que j’ai voulu te prouver en te laissant venir ici et en acceptant la bataille. Je me suis offert, seul, à tes coups et aux coups de ta bande. Et voilà que nous sommes l’un en face de l’autre et que tu ne peux rien contre moi. Déroute sur toute la ligne, hein ? Clarisse vivante. Moi, libre. Allons, ma belle, décampe de ma vie, tu es battue à plate couture, et je te méprise.

Il lui jetait en pleine face les mots injurieux qui la cinglaient comme des coups de cravache. Elle était blême. Son visage se décomposait et, pour la première fois, son inaltérable beauté accusait certains signes de déchéance et de flétrissure.

Elle grinça.

— Je me vengerai.

— Impossible, ricana Raoul, je t’ai coupé les ongles. Tu as peur de moi. Voilà ce qui est merveilleux, et qui est mon œuvre d’aujourd’hui : tu as peur de moi.

— Toute ma vie sera consacrée à cela, murmura-t-elle.

— Rien à faire. Tous tes trucs sont connus. Tu as échoué. C’est fini.

Elle hocha la tête.

— J’ai d’autres moyens.

— Lesquels ?

— Cette fortune incalculable… ces richesses que j’ai conquises.

— Grâce à qui ? demanda Raoul allégrement. S’il y a un coup d’aile dans l’étrange aventure, n’est-ce pas moi qui l’ai donné ?

— Peut-être. Mais c’est moi qui ai su agir et prendre. Et tout est là. Comme paroles, tu n’es jamais en reste. Mais il fallait un acte, en cette occasion, et cet acte je l’ai accompli. Parce que Clarisse est vivante, que tu es libre, tu cries victoire. Mais la vie de Clarisse et ta liberté, Raoul, ce sont de petites choses auprès de la grande chose qui était l’enjeu de notre duel, c’est-à-dire les milliers et les milliers de pierres précieuses. La vraie bataille était là, Raoul, et je l’ai gagnée, puisque le trésor m’appartient.

— Sait-on jamais ! dit-il d’un ton gouailleur.

— Mais si, il m’appartient. Moi-même j’ai enfoui les pierres innombrables dans une valise qui a été ficelée et cachetée devant moi, que j’ai portée jusqu’au Havre, que j’ai mise à fond de cale dans le Ver-Luisant, et que j’ai retirée avant que l’on fasse sauter ce bateau. Elle est à Londres maintenant, dans le coffre d’une banque, ficelée et cachetée comme à la première heure…

— Oui, oui, approuva Raoul d’un petit air entendu, la corde est toute neuve, encore raide et propre… les cachets sont au nombre de cinq, en cire violette, aux initiales J. B.… Joséphine Balsamo. Quant à la valise, c’est de l’osier tressé, elle est munie de courroies et de poignées en cuir… quelque chose de simple, qui n’attire pas l’attention…