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— Oui… Mais ne l’accuse pas… Elle m’aimait bien… Seulement elle n’avait pas réussi… elle était devenue pauvre, misérable, et elle voulait que je réussisse… et que je sois riche…

— Mais tu étais belle, cependant. La beauté, pour une femme, c’est la plus grande richesse. La beauté suffit.

— Ma mère était belle aussi, Raoul, et pourtant sa beauté ne lui avait servi à rien.

— Tu lui ressemblais ?

— À s’y méprendre. Et c’est cela qui fut ma perte. Elle a voulu que je continue ce qui avait été sa grande idée… l’héritage Cagliostro…

— Elle avait des documents ?

— Un bout de papier… le papier des quatre énigmes qu’une de ses amies avait trouvé dans un vieux livre… et qui semblait réellement de l’écriture de Cagliostro… Ça l’avait grisée… ainsi que son succès auprès de l’impératrice Eugénie. Alors j’ai dû continuer. Tout enfant, elle m’a entré ça dans la tête. On m’a formé un cerveau avec cette idée-là seulement. Ça devait être mon gagne-pain… ma destinée… J’étais la fille de Cagliostro… Je reprenais sa vie à elle, et sa vie à lui… une vie brillante comme celle qu’il avait eue dans les romans… la vie d’une aventurière adorée de tous, et dominant le monde. Pas de scrupules… Pas de conscience… Je devais la venger de tout ce qu’elle avait souffert elle-même. Quand elle est morte, c’est le mot qu’elle m’a dit : « Venge-moi. »

Raoul réfléchissait. Il prononça :

— Soit. Mais les crimes ?… ce besoin de tuer ?…

Il ne put saisir sa réponse, et pas davantage ce qu’elle répliqua lorsqu’il lui dit :

— Ta mère n’était pas seule à t’élever, Josine, à te dresser au mal. Qui était ton père ?

Il crut entendre le nom de Léonard. Mais voulait-elle dire que Léonard était son père, que Léonard était l’homme qui avait été expulsé de France en même temps que l’espionne ? (et cela semblait assez plausible) ou bien que Léonard l’avait dressée au crime ?

Raoul n’en sut pas davantage, et ne put pénétrer dans ces régions obscures où s’élaborent les mauvais instincts et où fermentent tout ce qui est déséquilibre, tout ce qui détraque et désagrège, tous les vices, toutes les vanités, tous les appétits sanguinaires, toutes les passions inexorables et cruelles qui échappent à notre contrôle.

Il ne l’interrogea plus.

Elle pleurait silencieusement, et il sentait des larmes et des baisers sur ses mains qu’elle tenait éperdument et qu’il avait la faiblesse de lui abandonner. Une pitié sournoise s’infiltrait en lui. La mauvaise créature devenait une créature humaine, une femme livrée à l’instinct malade, qui subissait la loi des forces irrésistibles, et qu’il fallait peut-être juger avec un peu d’indulgence.

— Ne me repousse pas, disait-elle. Tu es le seul être au monde qui aurait pu me sauver du mal. Je l’ai senti tout de suite. Il y a en toi quelque chose de sain, de bien portant… Ah ! l’amour… l’amour… il n’y a que lui qui m’ait apaisée… et je n’ai jamais aimé que toi… Alors, si tu me rejettes…

Les lèvres douces pénétraient Raoul d’une langueur infinie. Toute la volupté et tout le désir embellissaient cette compassion dangereuse qui amollit la volonté des hommes.

Et peut-être, si la Cagliostro se fût contentée de cette humble caresse, eût-il succombé de lui-même à la tentation de se pencher et de goûter une fois encore la saveur de cette bouche qui s’offrait à lui. Mais elle releva la tête, elle glissa ses bras le long des épaules, elle lui entoura le cou, elle le regarda, et ce regard suffit pour que Raoul ne vît plus en elle la femme qui implore, mais celle qui veut séduire et qui se sert de la tendresse de ses yeux et de la grâce de ses lèvres.

Le regard lie les amants. Mais Raoul savait tellement ce qu’il y avait derrière cette expression charmante, ingénue et douloureuse ! La pureté du miroir ne rachetait pas toutes les laideurs et toutes les ignominies qu’il voyait avec tant de lucidité.

Il se reprit peu à peu. Il se dégagea de la tentation, et, repoussant la sirène qui l’enlaçait, il lui dit :

— Tu te rappelles… un jour… sur la pé-