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en avait eu l’intuition dès le début, deux drames distincts s’étaient mêlés, deux chemins s’étaient croisés en un point d’intersection déterminé par le seul hasard. Un jour, d’une part, Raoul d’Averny, sur les pas de quelqu’un qui porte des liasses de billets de banque, débarque au Vésinet, et achète une propriété, avec l’intention de couvrir ses frais — et son déplacement — grâce au vol des billets. Cette série d’actes amène au même endroit Barthélemy et son fils, lesquels, tout en préparant leur chantage contre Raoul, se font la main en dérobant les liasses de billets de banque cachées dans l’Orangerie.

D’autre part, ce même jour, — et c’est là le point d’intersection, la croisée des chemins — d’autre part, un drame absolument indépendant, en voie d’exécution déjà, conduit Élisabeth Gaverel devant cette même Orangerie, au moment où Barthélemy a terminé sa besogne. Et, aussitôt, tout va s’entremêler, dans une complication de mystères insondables, où la justice est immobilisée comme au milieu d’une forêt de ténèbres.

« Aujourd’hui, se disait Raoul d’Averny, tout cela est clair et simple, du moins pour moi. Les deux affaires sont nettement séparées l’une de l’autre. La seconde (affaire de chantage Barthélemy) est liquidée par la mort de Barthélemy et de Simon, par la capture de Thomas Le Bouc et par la confession de Faustine. La première (affaire des sœurs Gaverel qui ne m’intéresse que par ricochet), se poursuit sans qu’aucune solution soit en vue. Reste Félicien, dont l’action mal définie paraît s’être étendue de l’une à l’autre affaire. »

Et il répétait pensivement :

« Reste Félicien, objet même et condition essentielle d’un chantage dont les organisateurs sont supprimés… personnage trouble, inquiétant, d’apparence froide et indifférente, auquel les péripéties de l’affaire Barthélemy ont laissé tout son mystère, et que je n’ai chance de démasquer que si j’arrive à débrouiller le drame des deux sœurs. Que fait-il là-dedans ? Qui est-ce ? On ne se tue pas sans raison. Il y a donc en lui quelque chose d’assez puissant pour le bouleverser et le faire rouler jusqu’au bord de la mort ? Qui est-ce ? Qui est-ce ? Et que me veut-il ? »

Avec quel regard aigu il le scrutait, maintenant, à chacune des visites qui amenaient Raoul dans la chambre du pavillon ! Et comme il avait hâte de lui parler ! La fièvre était tombée. Faustine avait cessé tout pansement. Mais Félicien demeurait las, accablé, comme si la cause de sa redoutable tentative eût continué à le faire souffrir.

Or, un matin, Faustine, qui couchait dans l’atelier, prit Raoul à part :

— Quelqu’un est venu le voir cette nuit.

— Qui ?

— Je ne sais pas. Entendant du bruit, j’ai voulu entrer. Le verrou était mis. Ils ont chuchoté longtemps avec des intervalles de silence. Et puis, la personne est partie sans que je puisse rien surprendre.

— Alors, vous n’avez aucune donnée ?

— Aucune.

— Dommage !

En tout cas, Raoul put constater, les jours suivants, le résultat de cette entrevue nocturne : Félicien n’était plus le même. Instantanément, la figure avait pris une vie nouvelle. Il souriait. Il causait avec Faustine. Il voulait même faire son