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Il trouva dans son vaste atelier un homme jeune encore, délicat d’aspect, avec de beaux yeux noirs, et auquel il se présenta, comme un amateur, venu en France pour acheter des œuvres d’art.

Il examina et apprécia, en véritable connaisseur, les ébauches, bustes, torses, silhouettes inachevées qui encombraient l’atelier et il ne cessait, en même temps, d’observer le sculpteur. Quelles relations avait eues avec la Corse cet homme un peu efféminé, mais élégant et fin ? L’avait-elle aimé ?

Il fit l’acquisition de deux petites figurines en jade, charmantes. Puis, montrant sur son socle une grande statue que l’on devinait sous la toile blanche qui l’enveloppait :

— Et ceci ?

— Et ceci n’est pas à vendre, déclara le sculpteur.

— Est-ce votre fameuse Phryné ?

— Oui.

— Je puis la voir ?

Alvard découvrit la statue, et à la seconde même où elle apparut, Raoul eut une exclamation que le sculpteur ne put interpréter que comme un cri d’extase, mais où il y avait plus encore de l’étonnement, presque de la stupeur. À n’en pas douter, cette femme représentait Faustine Cortina. C’était l’expression et la forme de son visage, et c’étaient les lignes mêmes que laissaient pressentir ses souples vêtements.

Il resta longtemps sans rien dire, ébloui par cette vision magnifique. Et il soupira :

— Hélas ! Il n’y a pas de femme comme celle-ci.

— Il y a celle-ci, dit Alvard en souriant.

— Oui, mais interprétée par le grand artiste que vous êtes. En réalité, depuis les déesses de l’Olympe et les courtisanes grecques, cette perfection n’existe plus.

— Elle existe. Je n’ai pas eu à l’interpréter, mais à copier.

— Quoi ! un modèle, cette femme ?

— Un modèle, tout simplement, qui se faisait payer ses séances. Un jour, elle est venue me voir, et m’a dit qu’elle avait déjà posé pour deux de mes confrères, mais que son amant était affreusement jaloux et que, si je consentais, elle viendrait en cachette parce qu’elle l’adorait et ne voulait pas le faire souffrir.

— Pourquoi posait-elle ?

— Besoin d’argent.

— Et il n’a jamais rien su ?

— Il l’a surveillée, et, un jour, comme elle se rhabillait, il a forcé la porte de mon atelier, et m’a frappé. Elle a été chercher un docteur dans le voisinage. La blessure n’était pas grave.

— Vous l’avez revue, elle ?

— Ces jours-ci seulement. Elle est en deuil de son amant et elle m’a emprunté de l’argent pour lui donner une sépulture convenable.

— Elle va poser de nouveau ?

— Pour la tête, à l’occasion. Autrement, non. Elle l’a juré.

— Comment vivra-t-elle ?

— Je ne sais pas. Ce n’est pas une femme à s’avilir.

Raoul regarda longuement la belle Phryné et murmura :

— Alors, à aucun prix vous ne voudriez la céder ?

— À aucun prix. C’est l’œuvre de ma vie. Je ne ferai jamais rien avec un tel élan et une telle foi dans la beauté de la femme.

— Dans la beauté d’une femme que vous avez aimée, dit Raoul en plaisantant.

— Que j’ai désirée, je puis l’avouer, puisque ce fut en vain. Elle aimait. Mais je ne regrette pas… Phryné me reste.