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se défendre. Comme il ne pouvait expliquer sa présence autour de l’étang qu’en m’accusant de l’avoir reçu dans ma chambre, il nie, affirme qu’il n’a pas bougé de chez lui, et, en fin de compte, est arrêté. Ainsi le terrain est déblayé devant toi. Seulement… seulement, moi, je commence à réfléchir…

Elle répéta, sourdement, en phrases qui se faisaient plus haletantes :

— Oui, je réfléchis… Je ne cessais pas de réfléchir… C’est une obsession de toutes les minutes. Au cimetière, la main tendue sur le cercueil, je jure à Élisabeth de la venger. Je lui jure que ma vie entière n’aura pas d’autre but, que je sacrifierai tout à cela. Et c’est pourquoi, tout de suite, j’ai sacrifié Félicien.… « Regardez autour de vous, me dit M. d’Averny… En vous-même, ne reculez devant aucune accusation… » Autour de moi ? Autour de moi, je ne vois que Félicien et toi. Félicien n’étant pas coupable, Félicien n’ayant aucune raison pour tuer Élisabeth, dois-je penser que, toi, Jérôme ?… La lecture minutieuse du journal d’Élisabeth éveille mon attention. Ainsi, à l’heure où elle s’en allait chercher la barque pour sa promenade quotidienne avec toi, tu étais absorbé, mal à l’aise. Tu te plaignais de n’avoir pas de situation. Tu étais inquiet de l’avenir, et ma pauvre sœur devait te réconforter avec la perspective de l’héritage… Aucun soupçon ne m’envahit encore… Aucun, non, mais je me défie de tout le monde, même de M. d’Averny, qui, cependant, avait découvert la démolition antérieure des marches de bois. Je ne parle à personne. Toute cette affaire de Simon Lorient et de Barthélemy, je ne m’en occupe pas. Quand tu reviens près de moi, convalescent, au sortir de la clinique, rappelle-toi, c’est le silence entre nous. Je ne songe ni à te questionner, ni à te soupçonner… Aucun pressentiment, aucune arrière-pensée à ton endroit. Mais un jour…

Rolande se recueillit. Et, se rapprochant un peu de Jérôme :

— Un jour, nous avions lu, l’un près de l’autre, sur la pelouse. À 5 heures, en t’en allant, tu me prends la main pour me dire adieu. Or, cette main, tu la gardes dans la tienne, deux ou trois secondes de trop. Ce n’est pas un geste d’amitié, ni un geste de chagrin en souvenir d’Élisabeth. Non. Il y a autre chose, la pression d’un homme qui cherche à exprimer des sentiments ignorés. Il y a presque un aveu, en même temps qu’un appel. Quelle imprudence, Jérôme ! Ce geste-là, il fallait attendre un an, deux ans pour le tenter. Mais, au bout d’un mois ! De ce jour, j’étais fixée. S’il y avait, autour de moi, dans mon intimité, un coupable, ce ne pouvait être que l’homme qui, fiancé d’Élisabeth, un mois après sa mort, se tournait vers la sœur d’Élisabeth. L’énigme demeurait entière. Mais le mot de l’énigme était en toi, dans le secret de ton âme, dans ce que tu savais, dans ce que tu voulais. Je n’avais plus à réfléchir, mais à t’examiner sans trêve, et à envisager tous les événements qui se rapportaient à nous deux et à Élisabeth, comme si c’était toi le coupable. J’ai fait davantage. Pour te prendre au piège et pour te donner confiance, j’ai accueilli l’amour que tu affectais pour moi. Tu as pu croire que je l’éprouvais moi-même, et tu as fini par m’aimer réellement, perdant dès lors toute lucidité.

Elle baissa la voix.

— Oui ! vois-tu, si lamentable que fût ma vie, elle se fortifiait peu à peu de toute la certitude qui m’envahissait, de jour en jour. J’étais