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l’image de la femme nue

Je ne vous la rendrais pas vivante… vous entendez, pas vivante. Je la démolirais à coups de hache, et vous n’auriez que des miettes et de la poussière. D’ailleurs, vous ne feriez pas cela… Si vous le faisiez…

— Si je le faisais ?

— Écoutez-moi bien. Approchez-vous… plus près encore… je n’ai plus de forces. Écoutez… Il y a trois belles filles ici. Je ne parle pas de Flavie qui s’est retranchée du monde, mais d’Élianthe, de Véronique et de Lœtitia… Trois belles filles… qui vivent dans le plaisir et dans la joie. Ce sont les filles de mon esprit… Elles ne m’aiment pas beaucoup… Personne ne m’aime… Mais, moi je les aime parce qu’elles sont belles… Je les ai formées en vue de leur beauté et selon ma vision païenne de la vie. Comme moi, elles adorent les dieux morts, ceux d’Homère et de Virgile. Elles prient la nature, la mer, les étoiles, le soleil. Et elles sont merveilleuses. Soulevez ce rideau. Il y a là une longue vue dont je me sers pour les regarder quand elles prennent leur bain. Quelle splendeur ! Vénus, Minerve et Junon furent moins belles aux yeux du berger Pâris. Eh bien, ces trois magnifiques créatures, ces trois favorites des dieux, qui ne connaissent que la joie et le luxe…

Qu’allait-il dire ? Stéphane se pencha davantage. Zoris prononça brièvement :

— Leur père avait retiré toute sa fortune de la banque. Depuis, il s’était ruiné en spéculations. C’est moi qui ai payé tous les travaux plus tard. C’est moi qui fais vivre tout le monde. Si on m’enlève la statue, c’est la mort pour moi, pour elles la ruine. Choisissez…

Un long silence. Était-ce un mensonge, ou la vérité ? Les faits semblaient s’accorder avec ces révélations.

Stéphane y ajouta foi, et Zoris continua :

— Est-ce cela que vous voulez ? La vente du domaine ? La ruine des trois sœurs ? Que deviendront-elles ? Vous connaissez leur façon de vivre… qui les épousera ? Dois-je vous rappeler ce qu’elles vous ont donné si joliment ? Ne dites pas non. Tout ce qui se passe ici, je le sais… Rien ne m’échappe. Véronique d’abord, et puis Lœtitia… et puis, sans doute, Élianthe… Que réclamez-vous, maintenant ? Vous avez eu les plus beaux trésors du monde… et vous allez gâcher tout cela pour un rêve, pour un mirage ?

Il répéta, en martelant les mots :

— La ruine… la misère… des amants de hasard, dont elles dépendront…

Un petit ricanement mauvais l’agitait. Comme regaillardi par cette vision de désastre, il se leva. Il fit quelques pas. Un moment après, il sortit la longue-vue, la braqua vers la plage et chuchota :