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maurice leblanc

abomination avez-vous machinée pour lui mettre l’arme en main ? Mais répondez donc !

Stéphane sentit que Zoris défaillait sous son étreinte, et, le lâchant soudain, il le laissa s’effondrer au creux du fauteuil.

Zoris demeura immobile un moment, courbé en deux et ses mains crispées à l’endroit de son cœur. Il semblait étouffer, il était livide.

Après un instant, il prit dans un tiroir un flacon dont il avala le contenu. Puis, se remettant peu à peu, il alla vers la fenêtre, respira longuement, revint s’asseoir, et, regardant Stéphane bien en face, il lui dit, d’une voix saccadée et sourde :

— Des mensonges !… rien que des mensonges !… Je ne répondrai pas… La statue volée… la lettre à votre père… ma visite… autant de folies… L’unique réalité, c’est que j’ai vu, pour la première fois, le 30 juillet 1921, cette statue qui se trouvait dans le souterrain depuis un temps que j’ignore. Et le seul aveu que je vous ferai, c’est que, depuis le 30 juillet 1921, je n’ai pas manqué un seul jour, vous entendez, pas un seul jour, d’aller la voir et l’admirer. C’est un pèlerinage, qui est la raison même de ma vie quotidienne. Je mourrais s’il me fallait y renoncer. Cela m’est nécessaire comme de manger et de boire. Quand mon cœur flanche, elle me ressuscite. Certains jours où j’étais couché, grelottant de fièvre, je courais là-bas, tout en sueur, et le mal s’en allait. Qu’elle vienne du fond des siècles ou de l’atelier de votre père, je m’en moque. Elle est à moi ! à moi seul ! Et vous me la prendriez ? Mais c’est fou ! De quel droit me voler ? Allez-vous-en, cette femme est à moi.

Stéphane écoutait avec stupeur ces paroles de démence que Zoris finissait par bredouiller ; il murmura :

— Cette femme, dites-vous ? C’est le mot vrai. Ce n’est pas une statue que vous aimez. On n’aime pas une statue. Non, vous tenez à la femme qu’elle représente. C’est cette femme que vous aimez…

Zoris se taisait, la tête entre ses mains. Et Stéphane pensait que la même équivoque se retrouvait en lui. Son extase devant le bloc de marbre, ne la recherchait-il pas dans le choix même de toutes les femmes qu’il dévoilait ?

Zoris avait levé la tête, et tous deux se regardaient avec une haine véritable. C’était réellement une femme qu’ils se disputaient, et toute leur admiration pour des formes parfaites et des proportions harmonieuses n’était que luxure et que désir impuissant pour la chair mystérieuse que ni l’un ni l’autre n’avait possédée.

Zoris reprit, de son intonation essoufflée et rageuse :

— Allez-vous-en… votre entreprise est inutile et criminelle. Jamais vous ne réussirez !… jamais !… Une plainte contre moi ? À quoi bon ?