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maurice leblanc

succès n’avait été que superficielle. Et voilà que, soudain, le miracle semblait se produire. Oui, c’était bien une statue qui surgissait de l’espace imprégné de clarté confuse, et cette statue prenait peu à peu les contours qu’il espérait, les formes que son imagination évoquait si souvent. La Vénus Impudique se recréait en face de lui. Elle avait son attitude, son buste de femme prête à se renverser, sa gorge gonflée de désir, le geste accueillant de ses bras, ses paumes largement ouvertes, ses longues jambes qui fléchissaient déjà.

— C’est toi ! c’est toi ! murmura-t-il, bouleversé… Je te retrouve… Tu revis pour moi. Mon Dieu, quelle merveille !

Il ne s’était pas trompé en écrivant qu’il n’avait jamais connu le mal d’aimer que par cette vision de marbre qui l’avait hanté jusqu’ici comme un désir jamais assouvi. Et le rêve, subitement, se réalisait. Des aventuriers à la conquête d’un trésor n’auraient pas eu plus d’éblouissement à contempler les coffres remplis des richesses des mille et une nuits, que Stéphane n’en éprouva devant l’admirable chef-d’œuvre que son père avait enfanté dans l’angoisse et le désespoir. Il ne pouvait s’en rassasier les yeux. Il baisait les pieds nus. Il caressait les nobles jambes et les hanches parfaites. Levant les bras, il posa ses mains arrondies sur les deux coupes des seins, et il en palpait la chair à la fois obéissante et ferme.

Puis il reculait jusqu’aux parois de la grotte et regardait de nouveau. Une lumière insuffisante, mais douce, égale, semblait couler d’une source invisible qui ne baignait que la nudité d’Aphrodite, laissant flotter l’ombre dans le reste de la salle. Seul un grand artiste, ou un grand amoureux, avait pu disposer ainsi, dans sa prison souterraine, la déesse de l’amour et de la beauté. Il n’y avait pas là un trésor dérobé par désir de lucre, ou abandonné par peur des représailles de la justice, mais bien une statue mise en valeur pour le plaisir des yeux.

Stéphane ne bougeait pas. Il demeura plus d’une heure appuyé au mur, et il frémissait d’admiration et de joie. Pas une seconde il ne songea qu’il était, lui aussi, captif, puisque, cette captivité, il la subissait dans la région même habitée par la divinité. D’ailleurs, si retranché qu’il fût du monde, il n’avait pas l’impression de l’isolement. Des bruits lui venaient de l’extérieur, peut-être par le tunnel qui montait de la mer. D’autres se propageaient au-dessus de lui, par cette écorce de granit qui recouvrait la grotte, et qu’il supposait d’une épaisseur assez faible.

— Je dois bien être, se disait-il, au-dessous du dolmen de Gyptis. Des gens passent par là.

Il prêta l’oreille. Plusieurs fois, le silence s’anima comme si des échos y ondulaient. Et cela, pour lui, signifiait que, dans ce milieu inerte et sourd du granit, il devait y avoir des canaux de circulation par où se