Page:Leblanc - L’Image de la femme nue, 1934.djvu/87

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
85
l’image de la femme nue

n’est-ce pas ? C’est là qu’on embarque… Au-dessous, il y a encore dix ans, s’ouvrait une véritable grotte où l’on pouvait entrer. Ils l’ont aux trois quarts bouchée avec des moellons, sous prétexte de consolider et de rendre plus commode l’embarcadère. Et, du fond de la grotte, on peut, à certaines heures, quand la mer n’y pénètre pas, suivre la pente du souterrain qui monte doucement sur la colline et conduit à une grande salle, juste au-dessous du dolmen de Gyptis. La statue est là. Je l’y ai vue autrefois, un jour qu’ils m’ont conduite par le souterrain, et je l’ai reconnue. L’entrée, depuis qu’ils l’ont bouchée, est presque impossible, mais aux grandes marées, quand la mer est un peu plus basse, on peut encore s’y introduire.

Elle s’arrête.

J’écoutais avidement, nos mains toujours jointes, et je m’aperçois seulement alors du petit jeu que je joue à mon insu, et de la situation plutôt ridicule où je me suis mis. Nos genoux se frôlent, sa gorge palpite sous mes yeux, à côté de mes mains. Ah ! je vous jure, cher ami, que son émotion ne se mêle d’aucune provocation volontaire. Mais elle subit le trouble des souvenirs, et, sans ce trouble et sans l’étreinte de nos mains, elle ne m’eût pas livré l’énigme de la statue.

Ne va-t-elle pas résoudre les autres problèmes, me dire le nom des ennemis, leurs ressources, leurs projets ? Je me sens lâche. Je me mets à jouer avec les rubis et les émeraudes, caressant les bras nus, murmurant d’autres questions au hasard, exigeant et implorant d’autres paroles. J’ai l’impression qu’elle faiblit et qu’elle va parler. Il me suffirait d’un geste et elle s’abandonnerait aux confidences. Elle y est résolue.

Bien entendu, ce geste je ne l’ai pas accompli. Alors elle paraît se réveiller. Elle me regarde, inquiète de ce que je pense, et, comme je souris d’un air détaché, elle me reprend la main pour la dernière fois et me dit, tout amicale :

— Nous causerons encore, Stéphane. Il le faut. Il y a des choses si graves !… une, surtout, qui serait effroyable et qui vous menace… oui, une épouvantable chose… un piège qui vous est tendu et qui réussirait…

— Pourquoi tarder, Séphora ?

— Demain… Nous nous retrouverons… Votre petite servante gitane vous préviendra. Elle m’est toute dévouée. Mais ne l’interrogez pas…

Mercredi.

Séphora n’a pu tenir sa promesse. Le lendemain matin, la petite gitane s’approche de moi, et, sans un mot, me remet un billet écrit en hâte par Séphora.