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maurice leblanc

devant la serre, en effet. Il fume. Je reconnais un des trois romanichels qui comptent parmi les domestiques.

— Son nom ?

— Rosario. C’est le jardinier principal.

— Je suppose que c’est un des six hommes embauchés jadis aux Saintes-Maries par le patron du bateau qui transportait la statue ?

— Oui.

— Pour qui agissait le patron du bateau ?

— Je ne sais pas.

— Et pour qui agit maintenant Rosario ?

— Je ne sais pas.

— Pour Zoris, voyons, avouez-le, pour son maître Zoris ! Et c’est Rosario qui monte la garde autour de la statue.

Elle s’est de nouveau rapprochée de moi, et a repris ma main.

— Stéphane, il y a beaucoup de choses que j’ignore. Mais j’ai su tout de suite que vous étiez en danger, et vous le serez tant que vous ne quitterez pas le domaine. Si vous partiez, ce serait fini.

— N’y comptez pas. J’ai juré que mon père serait vengé et que la statue serait retrouvée.

— Ne vous vengez pas. À quoi bon se venger ? D’ailleurs, personne ne lui a fait de mal, à votre père, que lui-même.

— Vous voyez… vous pourriez m’en dire davantage, et vous ne le faites pas… Il faut me répondre. Que savez-vous sur la mort de mon père ? et sur l’homme qui commande à Rosario ? et sur Rosario lui-même ? Comment avez-vous su qu’il avait versé du poison dans ma tasse ? et qu’il avait scié les planches de la passerelle ?

Elle se renferme en elle-même. Son visage est clos, hostile.

Je lui prends les mains. De toute ma force d’homme, je pèse sur sa volonté, et j’insiste :

— Où ont-ils mis la statue ? Je ne peux pas vivre sans libérer la statue. C’est l’œuvre de mon père. Rappelez-vous, Séphora… Vous l’avez vue, autrefois… vous savez comme il y tenait !

— Il tenait à la femme qui s’est enfuie !

— Oui, mais il l’a oubliée cette femme, et jamais il n’a oublié son œuvre.

— Vous non plus, Stéphane.

— Moi non plus. Je veux la voir. Où est-elle, Séphora ?

Alors, elle a parlé. Elle a parlé tout bas, les yeux fixes, comme si elle arrachait d’elle-même le plus grand des secrets.

— Au bout du promontoire sur la gauche, près de la petite plage où vous avez rencontré Élianthe, vous connaissez le rocher d’Andromède,