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l’image de la femme nue

Et plein d’attentions, comme si j’avais été une vraie femme ! Pour se distraire, il faisait de moi des dessins, et il m’a donné ce portrait… Une autre fois, il m’a fait cadeau de ce bracelet de corail. Je sanglotais quand il est parti. Je voulais me tuer… Et je n’ai pas oublié. Ce souvenir-là, c’est ce que j’ai de mieux dans ma vie… J’avais quinze ans… et un homme comme votre père, n’est-ce pas ?…

J’aurais bien voulu retirer ma main que Séphora, toute à ses souvenirs de fillette, presse entre les siennes. Mais je crains de la froisser.

— Et ensuite, Séphora ?

— Ensuite, il y a un long temps pendant lequel je ne vois plus rien… Je vends toujours des fleurs… Et voilà un autre monsieur, plus tard, qui prend l’habitude de m’en acheter aussi, tous les matins. Il voyage pour ses affaires. Quand il s’en va, il m’emmène en Asie-Mineure, à Smyrne, et m’installe auprès de sa mère.

— C’est Zoris ?

— Zoris, qui était associé avec Georges d’Esmiane. À la mort de sa mère, vers la fin de la guerre, il me fait venir à Athènes. Ensuite, il m’envoie ici où je trouve M. d’Esmiane et ses filles, et où il nous a rejoints.

Il y a, dans le récit de Séphora, des coïncidences que je ne m’explique pas, et certainement un arrangement de faits. Je réfléchis et lui demande :

— Est-ce que Zoris a su que vous connaissiez mon père ?

— Non.

C’est un non très net, trop net peut-être, trop hâtif et qui semble prévenir d’autres questions.

Je tire mon portefeuille.

— Séphora, voici deux lettres anonymes. Celle-ci est une lettre de menaces qui m’a été remise indirectement l’autre jour. Celle-là, mon père l’a reçue trois jours avant son suicide. Toutes deux viennent de la même personne. Qui les a écrites ?

Elle m’observe :

— Vous accusez Zoris ?

— Non. Mais je fais un rapprochement entre le séjour de mon père à Rome, et le passage de Zoris. Et je pense que Zoris est ici, et que j’y suis également, et de même, sans doute, la statue. Qui a écrit ces deux lettres, sinon l’homme contre lequel deux fois vous m’avez protégé, l’homme qui m’épie et me poursuit ?

— Cet homme n’est pas Zoris.

— Je le sais bien. Mais qui est-il ?

— Regardez-le. Il est devant la serre, en train de fumer.

Je vais jusqu’à la lucarne, et soulève le rideau. Un homme se tient