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l’image de la femme nue

Il est là, dit-elle, devant les serres… Il fume…

— Qui ?

Elle ne répond pas. Elle écoute, et sa figure se détend.

— Je crains pour vous… C’est un homme qui n’hésite pas à frapper… et il doit être furieux de vous avoir manqué… Furieux aussi que vous l’ayez surpris dans son attaque contre moi.

Je répète :

— Qui, il ?

— Un lâche… une brute… je l’ai dénoncé à Zoris.

Elle n’en dit pas davantage.

Des yeux, elle cherche où me faire asseoir. Elle renonce aux coussins et va chercher les deux seules chaises du boudoir, toutes deux droites et incommodes comme des escabeaux.

Je m’assieds sur l’une, elle sur l’autre.

La chaleur est lourde. Elle n’a pas son châle. Elle porte une jupe de foulard très ample, plissée, et son buste est serré dans un réseau de soie légère, à larges mailles, qui emprisonne et révèle sa lourde poitrine. Aux bras, et autour du cou, ses pierres précieuses.

Ce qui me frappe en elle, dans son maintien rigide, et dans son mutisme, c’est son air de belle esclave, chargée de richesses qui ne lui appartiennent pas. Le sort l’a affranchie. La situation qu’elle occupe dans le domaine lui donne de l’autorité et de l’indépendance, mais il lui reste évidemment l’habitude séculaire d’attendre des ordres et d’obéir, comme une femme de harem.

Et je prends, à mon insu, un ton de maître.

— Il faut me répondre, Séphora. Dès le premier jour, j’ai senti que vous me regardiez comme s’il y avait en vous des raisons qui vous rapprochent de moi. Deux fois vous m’avez sauvé la vie, me protégeant non pas comme un étranger, mais comme un ami.

— Vous êtes un ami.

— Vous ne me connaissez pas, cependant ?

— Si… depuis longtemps.

Je suis stupéfait de cette affirmation.

— Depuis longtemps ?

Elle désigne du doigt une aquarelle pendue au mur, et qui représente, sous le verre qui la recouvre, une jolie adolescente, vêtue de pauvres étoffes blanches, un panier de fleurs entre ses bras.

Je décroche le tableau.

— Qui est-ce, Séphora ?

— Moi. Il y a vingt-quatre ans. J’en avais quinze. Vous voyez la signature… En bas, à droite.