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maurice leblanc

Au haut de l’escalier de la terrasse, j’écoute, et n’entends aucun bruit. La nuit est éclairée par un croissant de lune qu’on voit à peine, et je m’engage dans le sentier bordé de buis que j’ai suivi en venant et où se cachait Séphora. Je marche lentement, l’oreille aux aguets. Si l’homme est remonté par là, il peut de nouveau m’attaquer à l’improviste, et je garde la main sur mon arme.

Et, soudain, un cri, le bruit d’une lutte dans le fourré, derrière les arbustes taillés. Je suis sans doute à vingt ou trente pas de l’endroit où l’on a crié, et une voix d’homme gronde :

— C’est vous, Séphora… C’est vous qui l’avez prévenu… Sans quoi il ne se serait pas méfié.

— Laissez-moi donc ! Je vous défends de me toucher !…

C’est la voix de Séphora, une voix effrayée et furieuse. L’homme ricane :

— Ne pas vous toucher ? Elle est bonne, celle-là ! Pour une fois que je vous tiens, dans la nuit, j’en profiterais pas ? Il y a assez longtemps que j’attends l’occasion, Séphora…

La lutte recommence, sourde et palpitante. Je les entends qui tombent dans le fourré.

L’agresseur gémit :

— Ah ! la gueuse, elle m’a mordu… Crebleu de crebleu ! Vas-tu rester tranquille ?… Mais laisse-toi faire, crénom, puisque je te tiens ! Aimes-tu mieux que je t’étrangle ?

Il me semble percevoir des plaintes, comme le râle de quelqu’un qu’on étouffe. Alors, je m’élance dans le taillis. Mais les buis font obstacle, et des houx m’écorchent. Tout de suite, d’ailleurs, à mon approche, l’homme s’est relevé. Il se dresse à dix pas de moi, sa figure demeure dans l’ombre, et je ne reconnais pas sa silhouette. J’ai braqué mon revolver sur lui.

— Haut les mains… Et ne remue plus, sans quoi je tire.

Séphora s’est relevée aussi, et elle m’a dit :

— Ne tirez pas… Il y aurait du scandale… Et puis, je n’ai rien à craindre de lui…

— Allez-vous-en, Séphora.

— Vous me promettez de ne pas tirer ?

— Je vous le promets, s’il ne bouge pas.

Elle s’en alla.

Je tenais l’homme au bout de mon revolver, le doigt sur la gâchette. J’aurais voulu avancer et l’empoigner, mais j’étais empêtré dans les branches. Il dut s’en rendre compte, car, au bout d’une minute, il s’aplatit brusquement et s’enfuit en glissant par les coulées sous les arbrisseaux et les ronces.