Page:Leblanc - L’Image de la femme nue, 1934.djvu/79

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
77
l’image de la femme nue

neuf ans. Elle a été recueillie autrefois par Zoris. D’où lui viennent ses bijoux ? C’est après la guerre, alors que Flavie était petite jeune fille, que Séphora est revenue de Marseille, un jour, parée de ses rubis et de ses émeraudes. M. d’Esmiane était mort. Zoris avait liquidé la banque et habitait le pavillon.

Toute la soirée, nous sommes restés sur la terrasse. Les jeunes sœurs connaissent toutes les constellations et racontent, non pas comme des récits fabuleux, mais comme des faits authentiques, l’histoire de Castor et de Pollux, celle de Callisto que Junon changea en ourse, celle d’Andromède et de Persée…

Je rentre tard, je marche lentement. Ayant dépassé les pelouses, je m’engage dans les bois où s’achève la terrasse. Non loin de l’escalier qui descend vers la digue et vers le môle, le chemin passe entre le parapet et d’épais massifs de buis taillés. Un très léger sifflement, tout proche, attire mon attention. Je prête l’oreille, et une voix chuchote :

— Ne vous arrêtez pas… En arrivant là-bas, faites attention… La passerelle est coupée…

Sans ralentir, d’un regard oblique, je devine Séphora.

Je continue ma route. Me voici au môle, à hauteur du yacht. Depuis quelques jours, le matelot Solari, sur ma demande, et pour m’éviter la descente des crampons de fer, a jeté, du môle à la péniche, une passerelle étroite munie de deux rampes. Si l’avertissement de Séphora est juste, on aura profité, pour scier les planches, de mon absence, Solari et son camarade ne reprenant jamais leur service avant le matin. Que je me risque, et c’est la chute entre le môle et la péniche, dans un intervalle, peu profond, mais restreint, d’où il serait difficile de me sauver.

Je tâte du pied, j’appuie d’une main sur la rampe : la passerelle s’écroule.

D’un bond, je saute sur le pont de la péniche et cours vers l’extrémité. Un homme est là, qui veillait du côté du môle pour m’assommer d’un coup de casse-tête si j’étais parvenu à grimper.

Comment s’est-il échappé ? A-t-il plongé ? A-t-il réussi à escalader la muraille du môle ? En tout cas, je n’ai même pas deviné son ombre qui s’évanouissait,

Mon cher ami, vous savez que je ne suis pas peureux, mais, cette fois, j’ai l’impression de n’être pas seul en cause, et que Séphora, qui m’a prévenu, et qui est certainement à l’affût, doit être maintenant sous la menace de notre ennemi commun. Il doit connaître le poste d’où elle observait. Et, sans plus raisonner, pris de peur pour celle qui m’a sauvé, je repars, après m’être muni d’un revolver.