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maurice leblanc

controns souvent à l’heure du thé. Elles ont l’air de s’aimer beaucoup. Elle leur parle avec une tendresse où l’on sent l’indulgence et l’admiration. Leur nudité la choque. Mais c’est à peine si, de temps à autre, je surprends une rougeur furtive à ses joues et si elle épie mon regard fixé sur Élianthe ou Lœtitia. Quant à elle, la laine de sa robe, sévère comme de la bure, la revêt tout entière. Jamais un seul de ses gestes ne découvre une parcelle de ses bras ou la forme de ses jambes. Elle cite les paroles de l’Évangile ou de l’Imitation, auxquelles les autres répondent par un de ces vers d’Ovide ou d’Anacréon qu’elle comprend puisqu’ils lui furent enseignés, mais dont sa mémoire a dû perdre le souvenir.

Étrange contraste, et plus étrange encore l’amalgame harmonieux où toutes ces différences se fondent en une même gaieté et une même affection…

J’ai donc été à la chapelle, mon ami. Le personnel s’y trouvait réuni, les gens d’Égypte et les trois romanichels, tous recueillis et soumis à la sonnette de l’enfant de chœur. Flavie et Séphora prient, agenouillées à même les dalles.

Debout, les trois sœurs, sous leurs tuniques habituelles, gardent un air appliqué, et suivent aussi les ordres de la sonnette. Quand le vieux prêtre parle, elles l’écoutent avec une sympathie amusante. Véronique est adorable de gravité. À l’Élévation, Élianthe, attendrie par la solennité, prend la main de son amie Irène dont le masque est impassible.

La porte de la chapelle est étroite, et l’on sort un par un. Séphora me suit. Je l’entends qui murmure :

— Méfiez-vous.

Et, vivement.

— Ne vous retournez pas… On vous épie… moi aussi… Méfiez-vous.

Je comprends maintenant pourquoi l’Égyptienne m’évite. Toute la journée, des yeux sont à l’affût et des oreilles écoutent. Et cette surveillance ne s’exerce pas seulement à mon endroit, mais à l’encontre de Séphora, qui sait certaines choses et qui pourrait me les dire.

De plus en plus, je sens la nécessité de la rejoindre. Les sœurs m’ont retenu à déjeuner. Le dimanche, Séphora a sa place à table. Elle s’y est assise, chargée de ses pierres précieuses, comme une idole, et si différente des sœurs, qui n’ont pas un bijou ! Quand personne ne peut la voir, elle me regarde.

Qu’est-ce qu’elle sait ? De qui dois-je me défier ?

L’après-midi, je cause avec Flavie. Elle connaît les incidents de la statue volée, le suicide inexpliqué de mon père et les raisons de mon voyage en Provence. Elle en sait peu sur l’Égyptienne, qui ne se confie jamais et se tient dans les limites de sa position. Séphora doit avoir trente-