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l’image de la femme nue

Je parle de toutes trois en termes identiques, car je ne distingue guère Élianthe de ses deux sœurs et il me semble l’avoir possédée comme elles. Peut-être dois-je avouer que je la regarde davantage sur la grève, puisque, somme toute, le baiser fut inachevé. Mais cela laisse entre nous le plus adorable souvenir, mêlé à l’attente délicieuse du hasard qui nous réunira et où je suis persuadé qu’elle me révélera la même sorte d’ivresse,

Vous me direz :

« — Quels sentiments t’inspirent-elles ? Qui des trois aimes-tu le plus ? »

Comment vous répondre, puisque je n’ai jamais aimé ? La passion ne va pas sans souffrance : je n’ai jamais souffert. J’ignore l’angoisse. J’ignore même la mélancolie, le doute, l’inquiétude, ce qu’on appelle le vague à l’âme. Si j’ai quelque intuition de l’amour, c’est par l’émotion durable qui naquit en moi devant l’image de la femme nue. Oui, cher ami, je suis épris de la Vénus Impudique. Amour sans souffrance, puisque j’aime une statue. Mais c’est elle dont j’ai cherché la grâce épanouie et savoureuse dans ma chère Véronique, et dans les deux visions splendides que je garde de Lœtitia et d’Élianthe.

Et c’est elle, plus que tout, qui, par la certitude de la conquérir, me retient ici. Je marche sur un sol que ses pieds nus ont foulé. Je la vois quand les trois sœurs surgissent, nues, de la mer. Elle est là, et chaque jour m’en rapproche.

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15 juillet.

… Une semaine encore, cher ami. Hier, c’était dimanche. À dix heures, une cloche a tinté au fronton d’une petite chapelle attenant au château.

Elle sonne chaque dimanche, depuis l’arrivée de Flavie. Et, chaque dimanche matin, sur son ordre, le Castor va quérir un prêtre à Port-Saint-Louis et l’y ramène après déjeuner.

Et ce n’est pas le moindre émerveillement de mon séjour, la piété de Flavie ! Flavie est une catholique fervente. Elle pratique. Savez-vous où elle demeure, en Espagne ? Dans une sorte de communauté religieuse, à Madrid. Elle y a sa cellule. Tout en demeurant libre d’aller et venir, elle s’y courbe à l’austère discipline. Sainte Flavie, comme l’appellent ses sœurs.

C’est elle-même qui m’a fait ses confidences. Elle me les a faites avec la même simplicité que les trois autres apportent à l’accomplissement de leurs fantaisies. Elle est devenue mon amie, et j’ai la conviction qu’elle connaît mes relations avec Véronique. Ses sœurs et moi, nous nous ren-