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maurice leblanc

« — Véronique, un grand événement se prépare. Selle ton cheval demain matin à la première heure, et va jusqu’à l’Arche-d’Ormet… Là, tu attendras.

« — Qui ?

« — Le Prince Charmant, ou du moins l’homme à qui tu es destinée. »

« Bien entendu, j’ai ri, n’en croyant pas un mot. Tout de même, cela m’amusait. J’ai sellé Bucéphale et me suis mise en route. À l’Arche-d’Ormet, personne. Je m’endors. Et voici qu’à mon réveil, j’aperçois, non pas le Prince Charmant…

« — Loin de là !

« — Mais, vous, Stéphane, vous qui veniez vers moi également, et que j’aurais soi-disant appelé. J’ai bien pensé qu’il y avait quelque chose là-dessous, et que le hasard s’expliquerait un jour ou l’autre. Malgré tout, c’était si imprévu, cette rencontre, au milieu de ma bien-aimée Camargue ! Cela réalisait si bien mon vieux rêve de me trouver un jour, en rôdant, face à face avec celui que je cherchais ! Était-ce lui ? Était-ce vous ? Mon émotion ne fit que grandir au cours de la journée, puis dans la cabane. Tout ce que vous disiez me plaisait. La tempête… la solitude… le secret de notre rendez-vous… tout nous unissait… J’avais l’intuition de plus en plus profonde qu’il ne fallait pas tarder. Mon destin se jouait. Et j’ai joué à coup sûr, sans angoisse et sans regret.

« Elle ajouta, en souriant :

« — Et puis, il y avait la tentation. J’aurais voulu voir clair en moi et ne me décider que par réflexion. Mais combien c’était plus facile de défaire cette agrafe ! »

« Véronique, je n’en doutai pas un instant, disait l’entière vérité.

« — Alors, ma chérie, ce serait Irène Karef qui m’aurait téléphoné en réponse à mon annonce de journaux ?

« — J’en suis convaincue, quoiqu’elle s’en défende.

« — Je vous ai dit qu’une femme avait déjà donné à mon père, par téléphone, le même rendez-vous, au même endroit. Ce serait donc Irène ?

« — Sans doute.

« — Et Irène, en vous envoyant à moi, savait qui j’étais ?

« — J’en ai la preuve. Le surlendemain, c’est-à-dire le matin du jour où vous êtes arrivé ici, Élianthe et Irène ont été, par la mer et par le Rhône, à Port-Saint-Louis. À la gare de chemin de fer où elles cherchaient un colis, Irène a vu votre nom sur l’étiquette d’envoi de deux valises. Elle a dit qu’elle était chargée de prendre ces valises. L’employé, qui la connaît très bien, n’a fait aucune difficulté. Vous voyez, Stéphane, comme tout cela est clair !

« — Clair comme vous, Véronique, mais obscur comme vous, aussi,